A l'ouest du bourg [de Sérent], et tout près du château de la Salle, qui ressort si blanc sur ces bois si verts en été, un énorme dragon, effroi de la contrée, avait fixé sa retraite dans les rochers du Rocalet, bien long-temps avant que le village et le château que je te nomme eussent été édifiés. Comme le Minautore grec, le monstre armoricain choisissait ses victimes, et, s'il décimait les troupeaux, il faisait plus souvent encore couler le sang humain.
Un jour, enfin, touchés des maux de leurs vassaux, alarmés pour eux-mêmes, les seigneurs du pays de Sérent convoquèrent leurs nobles amis des pays voisins, firent avec eux serment de combattre, tous ensemble, l'horrible dragon qu'ils n'auraient pu vaincre isolément, et de mettre fin, par sa mort, à la terreur qu'il répandait, aux ravages qu'il causait. Bien armés et bien unis, ces braves seigneurs attaquèrent le monstre du Rocalet, et, dans ce terrible combat, le marquis de Molac obtint la plus grande gloire en portant le coup mortel.
C'est à dater de ce jour mémorable que la Drague fut fêtée à Sérent, sous le droit et la présidence du marquis de Molac et de ses successeurs, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, époque à laquelle ce droit fut vendu au seigneur de Castel en Quily.
Le 29 juin, jour des saints apôtres Pierre et Paul, un héros, revêtu d'une splendide livrée aux armes de Molac, parcourait à cheval toutes les rues du bourg de Sérent, pour se rendre au cimetière, au milieu duquel s'élevait l'église paroissiale, et publiait à son de trompe, aux quatre coins de ce cimetière qui n'existe plus, le parcours de la Drague, et l'ordre à tous, petits et grands, de lui ouvrir des voies faciles.
Puis la Drague, à tête de cheval, à dos chargé d'un tapis vert, et dont les écailles dorées reluisaient au soleil, s'élançait tout-à-coup au milieu des flots pressés de la foule qui s'ouvrait devant elle et la laissait passer avec ses robustes porteurs et son cortège menaçant. Le cortège s'arrêtait devant chaque maison, y recevait une offrande ou monnaie d'argent, ou brisait les portes, afin que la Drague pût entrer et réclamer elle-même le tribut imposé à tout logis du bourg.
Que de rires bruyants, que de joies folles éclataient dans ces fêtes populaires que la terreur de 93 éteignit dans le sang, et que notre génération banquetière et politique se garde bien de restaurer. Au siècle des lumières, les chandelles et les lampions suffisent à nos amusements !!!