La légende du Diable et de Saint Mathurin [Quistinic (Morbihan)]

Publié le 15 août 2022 Thématiques: Âme , Animal , Cheval , Diable , Diable roulé , Femme , Générosité , Légende chrétienne , Pacte avec le Diable , Pari , Pomme , Protection , Saint Mathurin , Saint | Sainte , Transformation ,

Chapelle Saint Mathurin
Chapelle Saint Mathurin. Source GO69, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
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Source: Lavenot P.M / Revue des Traditions Populaires (1891) (3 minutes)
Lieu: Ville / Quistinic / Morbihan / France

Un jour saint Mathurin semblait garder des vaches sur une grande lande de Quistinic lorsqu’un marchand de pommes vint à passer. Il était accompagné de son domestique qui conduisait une charretée de pommes. « Donnez-moi une pomme, dit l’enfant au marchand, et je vous dirai une chose. » « Oui, oui, reprit le marchand, tu veux avoir une pomme; tiens en voici une : « Fermez toujours votre porte à clé, répartit l’enfant, et vous « saurez qui entrera chez vous. » — Belle affaire, dit le marchand en riant; je sais cela depuis longtemps.

Il passa de nouveau avec une charretée de pommes ; l’enfant lui en demanda encore une, lui promettant de lui dire une chose. – Tu veux manger toutes mes pommes, mon petit; mais elles me coûtent de l’argent. » Il lui en donna encore une cependant; car il avait bon cœur. Après l’avoir remercié, l’enfant lui dit : « Ne pariez jamais que lorsque vous êtes certain de gagner.» – Tes secrets sont connus de tout le monde, petit gars ; merci quand même, car ton intention est bonne.

Le marchand repassa une troisième fois et le petit pâtre accourut encore demander une pomme, en faisant la même promesse que les deux premières fois. Le marchand se mit à rire. – Avec tes prétendus secrets, tu mangeras certainement toutes mes pommes. En voici une encore ; mais ne m’en demandes plus, car je ne t’en donnerai plus d’autres. « Merci, dit « le petit, « Ne passez jamais trois fois de suite devant une « personne sans lui demander son nom. »

Le marchand fit à peine attention à ce que lui disait l’enfant.

Arrivé à la maison, le marchand dit à son domestique : « Conduis le cheval à l’écurie, donne-lui du foin d’abord et de l’eau chaude ensuite; car il a chaud.

Lorsque le garçon fut porter de l’eau chaude au cheval, il en trouva un autre à l’écurie, mangeant du foin avec le sien ; mais il était si maigre qu’il ne tenait pas debout. – A qui ce vilain cheval ? Mets-le bien vite hors de l’écurie. Au même moment se présente le propriétaire du cheval. – Votre bête fait souvent carême, parrain, car elle est bien maigre. – Telle qu’elle est, elle court encore mieux que la vôtre. – Ah dam! ça non! – Parions sept écus contre le meilleur morceau de chez vous que, sur ce cheval, j’irai boire une bolée de cidre à Hennebont et que je serai de retour ici, à Quistinic, avant vous. – En route, de suite, cria le marchand de pommes, piqué par ce défi.

Ils se mirent en route ensemble. Le marchand de pommes avait un beau cheval, un bon coursier. L’inconnu avait un cheval si maigre, si petit, qu’il lui fallait ployer les jambes pour ne pas toucher la terre avec les pieds. Le marchand néanmoins n’avait pas encore fait un quart de lieue que l’autre avait déjà bu sa bolée de cidre à Hennebont, et était de retour. Il avait affaire au diable en personne. Il se rappelle alors les paroles du pâtre : « Fermez toujours votre porte à clé et vous saurez qui entrera chez vous, » et « Ne pariez que lorsque vous êtes certain de gagner. » A son retour; le diable réclame son morceau. – Quel morceau prendrez-vous, dit le marchand. – Votre femme, répondit le diable. Le marchand trembla de tous ses membres et devint pâle comme un linge.

Il aurait voulu parler alors au berger ; mais « il ne lui avait pas demandé son nom. » Il alla sur la lande où il l’avait trouvé et se mit à l’appeler : Berger, berger; mais le berger ne paraissait pas. Cependant, ce berger qui lui avait donné de si sages avis aurait peut-être pu le tirer de cette mauvaise affaire.

A la fin, saint Mathurin eut pitié de lui et lui apparut en prêtre tel qu’il est dans son église de Quistinic; car c’est lui qui est le patron si connu de Quistinic. – Hé bien ! vous n’avez pas voulu suivre mes conseils, aussi vous voilà en une mauvaise affaire. -Ô grand saint Mathurin, ayez pitié de moi et ne laissez pas ma femme aller avec le diable. – Tranquillisez-vous, votre femme n’ira pas avec le diable, il n’aura pas ce morceau-là.

Saint Mathurin se rend chez le marchand de pommes, fait la femme monter dans le grenier, puis scie le cinquième barreau de l’échelle en le laissant cependant en place. Le diable arrive bientôt et réclamé son morceau. – Il est dans le grenier, dit saint Mathurin, allez le chercher. Le diable ne se fit pas prier deux fois, il monta dans l’échelle et le barreau scié lui reste en main. – Ah! dit le saint, vous prenez ce morceau-là, vous ne pouvez en réclamer un autre. La condition du pari est accomplie. Allez-vous-en maintenant.

Ce qui fut dit fut fait et le diable n’eut pour enjeu de son pari qu’un barreau d’échelle…


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