La légende de Nui Vong Phu [Lạng Sơn (Lạng Sơn / Vietnam)]

Publié le 16 janvier 2023 Thématiques: Accident , Enfant , Frères , Jeunes gens , Mariage , Mort , Origine d'une roche , Origine d'un nom , Suicide , Transformation , Transformation en pierre ,

Núi vọng phu
Núi vọng phu. Source Internet
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Source: Dorville Max / La Tradition (1892) (5 minutes)
Lieu: Núi vọng phu / Lạng Sơn / Lạng Sơn / Viêt Nam
Motif: D231: Transformation : homme en pierre

I

Lorsque, remontant vers le Nord, une jonque de mer venant du port de Qui Nòu se dirige vers la province du Kouang Ngai et double le cap que jettent dans la mer les derniers contreforts de la petite chaîne des montagnes du Binh Dinh, le marins qui la montent aperçoivent une roche aux formes étranges, dont les plus basses marées, seules, découvrent la base, mais dont jamais la mer, quelque pleine et furieuse qu'elle soit, n'atteint le sommet.

Et si l'oeil, déchirant la brume qui l'entoure presque continuellement, parvient à distinguer plus exactement la structure de ce monstrueux bloc de granit, il voit que c'est une femme tenant son enfant (comme toutes les femmes annamites) à cheval sur sa hanche gauche, qui étend son bras droit vers la mer, dans un geste d'appel désespéré.

Alors, plein d'une religieuse crainte, le matelot qui tient le gouvernail en pousse la barre vers l'orient, et cherche à s'éloigner de cette montagne, car elle attire à elle tout ce qui flotte sur la mer et s'attache, dans une inexorable absorption, tout ce qui vient à la toucher.

Et si quelque novice, rieur et sceptique, parait se moquer de cette crainte, il se trouve toujours quelque vieux matelot qui, après l'avoir contraint à la prière qui protège, l'instruit, pendant que le navire s'éloigne de la côte, du danger qu'il vient de courir, et lui raconte la terrible histoire de Nui Phong Phu.

II

C'était à un époque si ancienne que les annales annamites elles mêmes, bien antiques pourtant, n'en font point mention et dont tu ne pourrais apprendre l'histoire que dans les livres chinois du sage Cong-Fu-Tsê; en ces temps-là, l'Annam que n'avaient point encore conquis les Giao Chi, était habité par des géants colossalement grands et effroyablement forts que, plus tard, nos ancêtres ont vaincus et tués pour s'emparer de leur pays et y établir, dans la paix et le bonheur, le glorieux empire d'Annam dont nous sommes, grâce à Bouddhà, les fils et les sujets.

Deux enfants de ces terribles géants, le frère et la soeur, jouaient près du bord de la mer en mangeant des cannes à sucre que le petit garçon cueillait avec un couteau effilé et très pointu qu'il portait à la ceinture.

Ils étaient à quelque distance de la maison de leurs parents, située dans la province de Hué, non loin de cette petite mer intérieure qui s'étend à l'est des monts de Chou-May et qu'on nomme aujourd'hui la lagune de Phu-Ya.

Ayant fait tous deux provision de cannes à sucre ils s'avancèrent, en les déchiquetant à belles dents pour en savourer l'excellent suc, jusque sur le rivage, pour y chercher de belles coquilles de nacre. Ils en trouvèrent un grand nombre et les ramassèrent au furet à mesure mais une discussion s'éleva entre eux au sujet de la possession d'un magnifique coquillage, le plus beau qu'ils eussent vu dans la journée.

Chacun d'eux prétendait qu'ayant, le premier, aperçu la coquille c'était à lui qu'elle devait appartenir, et la petite fille, en outre de cette prétention, disait que puisqu'elle avait avant son frère ramassé l'objet de leur querelle, il était juste qu'elle en restât propriétaire.

Mais alors, le petit garçon, qui, en sa conscience, reconnaissait le droit de sa soeur, entre dans une grande colère et tout à coup saisissant son couteau, il le lança avec violence vers elle. La lame lourde et pointue, déchira la poitrine de la pauvre enfant, qui tomba sur le sable du rivage, perdant abondamment son sang.

Effrayé de l'acte odieux qu'il venait d'accomplir et craignant le juste courroux de ses parents, le jeune garçon s'enfuit vers le Sud et gagna la province du Kouang-Nam.

III

Cependant, la petite fille n'était point morte; elle fut relevée par un pêcheur qui banda sa blessure après l'avoir pansée avec des feuilles dont il connaissait les vertus bienfaisantes, et la reconduisit à la maison de ses parents. Ceux-ci furent bien désolés de la disparition de leur fils, et ne pouvant supporter de demeurer dans le pays même où ce double malheur les avait frappés, ils quittèrent la province de Hué et s'en furent dans le Binh-Dinh.

Malgré cet exil volontaire, le chagrin ne cessa de les ronger et, successivement les emporta prématurément dans la tombe. — La jeune fille grandit élevée par un homme charitable qui avait été le voisin et l'ami de ses parents, et parut porter tant d'affection à cet homme que ceux qui ne connaissaient point son histoire la croyaient être son enfant.

Enfin elle arriva à l'âge où les jeunes filles songent à choisir un époux et, avec le consentement de son père adoptif, elle épousa un jeune homme qui exerçait la profession de sculpteur et disait être né dans la province de Haï-Phong, au Tong Khên. C'était un habile ouvrier, aussi courageux qu’adroit, qui, parce qu'il n'était ni joueur, ni débauché, jouissait de l'estime de tous.

Le prêtre de leur religion bénit l'union des deux jeunes gens, et la femme s'en fut habiter la maison de son époux.

IV

Déjà le soleil, depuis l'époque de leur mariage, avait accompli une révolution complèle autour de la terre, et les deux époux s'aimaient encore comme au premier jour.

La naissance d'un enfant était venue sceller leur union, qui paraissait être, aux yeux de tous, et était, en effet, parfaitement heureuse.

Un soir que le mari avait terminé sa tâche quotidienne un peu plus tôt que de coutume, ils s'en furent tous deux, la jeune femme portant son enfant, jusqu'au pied des montagnes de Binh Dinh, dont leur habitation était d'ailleurs peu éloignée. Là, l'enfant s'étant mis à pleurer, la jeune mère découvre son sein pour lui donner à boire.

« Quelle est donc cette cicatrice - demanda le mari à sa femme - qui déchira ta poitrine?

Alors la jeune épouse, avec des larmes dans les yeux, raconta son histoire. Au fur et à mesure qu'elle avançait dans son récit, une indicible terreur se peignait sur le visage du mari, et quand elle en vint à rapporter la querelle qui avait éclaté entre elle et son frère, le mari se leva et dit.

« Alors, ton frère le lança son couteau et, voyant ton sang couler, le croyant mortellement atteinte, il s'enfuit !... -Oui ! -Eh bien ! ton frère, après avoir, pendant de longues années, erré depuis le Fleuve Rouge jusqu'aux bouches du Mé-Kong, est venu se fixer dans cette province de Binh Dinh et, sans le savoir, incestueux après avoir été fratricide, il est devenu ton époux !... Adieu ! , Et, en disant ce dernier mot, il se sauva et, du haut du petit cap que nous avons vu tout à l'heure, il se jeta dans la mer..

Elle aussi courut au cap, appelant désespérément son époux ; longtemps elle cria, pleura, implora, mais tout à coup ses cris s'arrétèrent dans sa gorge en voyant flotter à la surface de la mer le cadavre de celui qui avait été son époux et son frère. Le froid de la mort la gagna et elle resta là inanimée, changée en un bloc de granit.


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