Le ciel n'avait jamais été plus admirable :
La nuit, dans sa clarté sereine, incomparable,
Laissait voir, au-delà des étoiles en feu,
Un autre firmament plus immense et plus bleu.
La montagne sévère et droite sous la lune,
Traçait sur le rivage une ombre longue et brune
Qu'on croyait un géant drapé dans son manteau,
Ayant le pied sur terre et le torse dans l'eau ;
Car la mer transparente, immobile, azurée,
Comme un miroir d'acier gardait, transfigurée,
L'image de la rive et des monts et des bois,
Que le flot faisait vivre et respirer parfois.
Sous les chênes touffus et bas, de chauds effluves,
Qui paraissaient sortir de quelques vastes cuves,
Rendaient l'air tiède et plein de parfums pénétrants
Qui coulaient doucement, impalpables torrents.
Au sommet le plus haut, creusant un large gouffre,
Se répandait sans bruit la cascade de soufre ;
Sur la nappe dorée, épaisse, un feu follet,
Tremblant et fugitif, souvent étincelait,
Et les rochers vêtus de cette robe jaune
Semblaient des rois ayant au front une couronne !
Tout se tait au sol africain :
L'Arabe est calme sous sa tente;
Il ignore encore l'attente
De l'ennemi, le glaive en main,
Qui rendra sa nuit haletante.
Nul visage blanc, des déserts
N'a contemplé la solitude;
Nulle autre voix que sa voix rude
N'a troublé le calme des airs
Ni sa fière mansuétude.
Il est le maître incontesté
Il est le roi de cette terre
Où seul, nomade volontaire,
Il promène sa liberté
Et son courage héréditaire.
Nul ne partage sa moisson,
Ne lui dispute ses ressources.
Nul ne fait dévier ses courses
Ni taire sa lente chanson;
Nul ne boit à l'eau de ses sources
Nul.... hormis le grand lion roux,
Comme lui rebelle au servage,
Comme lui guerrier et sauvage
Digne d'affronter son courroux
Quand il descend vers le rivage.
Deux formes ont gravi le sentier escarpé
Qui, courant sur le flanc de la montagne noire,
Par la lune estompé,
Semble un ruban de moire
Dans le roc découpé.
Lui, c'était un Arabe à la figure mâle
Noble, grand et nerveux, le regard velouté ;
N'ayant que deux amours ardents sous son front pâle :
Sa rêveuse Fathma, son cheval indompté.
Elle, c'était la femme, étrange, enchanteresse,
A l'œil vague et profond, par l'idéal rempli,
Laissant sur son cou nu flotter sa brune tresse,
Et n'ayant dans son cœur qu'un seul amour, Ali!
L'un à l'autre appuyés ils montaient en silence,
D'un rêve inachevé suivant à deux le cours ;
Et leur âme éprouvait presque avec violence
L'ivresse d'être seuls et de s'aimer toujours.
Quand ils furent au faîte, Ali dit : « Mon idole,
« Vivons dans notre extase et n'en sortons jamais.
«Notre amour s'affaiblit traduit par la parole...
Fathma dit: « J'ignorais qu'à ce point je t'aimais!»
Quitte l'azur clair et se penche
Sur l'horizon diamanté :
Les ombres croissent sur les sables,
Plus grandes, plus méconnaissables
Sous l'oblique et froide clarté.
La nuit, comme un fleuve qui coule,
Envahit les cieux et déroule
Sur la terre ses flots épais;
C'est comme une mer qui submerge
La montagne, le bois, la berge
Dans le silence et dans la paix.
Plus de murmure, de bruits d'aile,
Plus de voix qui chante ou s'appelle,
Plus de bêlement de troupeaux,
Plus de cri rauque en la tanière ;
Sur la nature toute entière
S'étend un bienfaisant repos.
Pourtant la source jaunissante,
Toujours féconde et jaillissante,
Verse ses ondes sans effort:
Et le soufre augmentant sans trêve
Forme au loin un lac qui s'élève
Couvrant tout d'un linceul de mort.
Ali près de Fathma, tandis que l'heure passe,
Est resté. Tous les deux l'œil perdu dans l'espace,
Une main dans la main, le cœur contre le cœur,
Loin de terre emportés dans leur rêve vainqueur,
Ils n'ont plus rien d'humain et semblent des statues,
Du sable du désert par le temps revêtues.
Sur leur corps immobile un vent brûlant et lourd
Dépose lentement, épousant leur contour,
La fatale poussière, impalpable, soufrée,
Dont la vapeur avec la mort est respirée.
Insensibles, ils n'ont aucun tressaillement;
Et toujours enlacés dans leur embrassement,
Ils n'ont pas su l'instant, minute solennelle,
Où l'extase d'un soir devenait éternelle ?
Six mille ans ont passé sur les monts toujours verts
Où le soufre coulait de leurs flancs entrouverts.
Et quand les voyageurs interrogent leurs guides
Pour connaitre le nom de ces deux pyramides
Semblant un couple humain vers la chute du jour,