La curiosité de Iouennic Bolloc'h [Saint-Pol-de-Léon (Finistère)]

Publié le 15 décembre 2023 Thématiques: Cimetière , Mendiant , Messager de la mort , Mort , Nuit , Revenant ,

Eglise Saint-Pierre et le cimetière
Eglise Saint-Pierre et le cimetière. Source Kergourlay, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Le Braz, Anatole / La légende de la mort en Basse-Bretagne: croyances, traditions et usages des Bretons armoricains (1893) (moins d'1 minute)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cimetière de Saint-Pol-de-Léon / Saint-Pol-de-Léon / Finistère / France

Iouennic Bolloc'h eut cette curiosité impie.
Iouennic Bolloc'h était un mendiant qui ne manquait ni d'esprit, ni de savoir-faire. Il s'était fait ce raisonnement:
– Si je pouvais prévenir d'avance du jour de leur mort tous ceux qui sont destinés à mourir cette année, j'arriverais à me faire ainsi de jolis profits.

Donc, le soir de la Toussaint, il s'arrangea pour être à Castel-Pôl (Saint-Pol-de-Léon). Il avait entendu dire qu'à Castel-Pôl il y avait, non pas un, mais dix, mais vingt charniers dans le cimetière. Il se dissimula tant bien que mal, en se couchant dans l'herbe à plat ventre. Et il attendit en cette posture le colloque des morts.
Vous n'ignorez pas qu'à Castel-Pôl, les ossuaires sont encastrés dans les murs du cimetière.
Un mort de l'un des charniers interpella un autre mort du charnier d'en face.
– Ami, disait-il, est-ce que tu m'écoutes?

Iouennic Bolloc'h sentit cette parole passer au ras de lui comme le souffle glacial d'une bise.
– Ami, répondit l'autre mort, je t'écoute, mais il y a un vivant entre nous.
– Je le sais. Il est venu pour entendre la liste des morts de la prochaine année.
– Qu'il l'entende donc !
– Qu'il sache que le premier de la liste n'a plus à vivre que deux minutes!
– Qu'il sache que le premier de la liste a nom Iouennic Bolloc'h!

Les deux voix se croisaient à travers la nuit, rapides, sifflantes. Chacun des mots qu'elles proféraient entrait comme un fer froid dans les oreilles du pauvre mendiant. A peine son nom eut-il été prononcé qu'il rendit l'âme. On trouva le lendemain son cadavre raidi. On crut qu'il avait eu le sang gelé par la grande fraîcheur de la nuit et on l'enterra à l'endroit même où il était trépassé.

(Conté par Jean Cloarec. Laz, 1890, Finistère.)


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