Iouennic Bolloc'h eut cette curiosité impie.
Iouennic Bolloc'h était un mendiant qui ne manquait ni d'esprit, ni de savoir-faire. Il s'était fait ce raisonnement:
– Si je pouvais prévenir d'avance du jour de leur mort tous ceux qui sont destinés à mourir cette année, j'arriverais à me faire ainsi de jolis profits.
Donc, le soir de la Toussaint, il s'arrangea pour être à Castel-Pôl (Saint-Pol-de-Léon). Il avait entendu dire qu'à Castel-Pôl il y avait, non pas un, mais dix, mais vingt charniers dans le cimetière. Il se dissimula tant bien que mal, en se couchant dans l'herbe à plat ventre. Et il attendit en cette posture le colloque des morts.
Vous n'ignorez pas qu'à Castel-Pôl, les ossuaires sont encastrés dans les murs du cimetière.
Un mort de l'un des charniers interpella un autre mort du charnier d'en face.
– Ami, disait-il, est-ce que tu m'écoutes?
Iouennic Bolloc'h sentit cette parole passer au ras de lui comme le souffle glacial d'une bise.
– Ami, répondit l'autre mort, je t'écoute, mais il y a un vivant entre nous.
– Je le sais. Il est venu pour entendre la liste des morts de la prochaine année.
– Qu'il l'entende donc !
– Qu'il sache que le premier de la liste n'a plus à vivre que deux minutes!
– Qu'il sache que le premier de la liste a nom Iouennic Bolloc'h!
Les deux voix se croisaient à travers la nuit, rapides, sifflantes. Chacun des mots qu'elles proféraient entrait comme un fer froid dans les oreilles du pauvre mendiant. A peine son nom eut-il été prononcé qu'il rendit l'âme. On trouva le lendemain son cadavre raidi. On crut qu'il avait eu le sang gelé par la grande fraîcheur de la nuit et on l'enterra à l'endroit même où il était trépassé.
(Conté par Jean Cloarec. Laz, 1890, Finistère.)