La petite ile Karn, près de Portzall, n’a pas toujours été le rocher inculte que l’on voit aujourd’hui; là où croissent parmi les roches de granit de maigres graminées, s’élevait autrefois le château du seigneur Karn; sa domination s’étendait sur une grande étendue de pays, et c’était un des sires les plus puissants du Léon.
Il vivait solitaire dans son ile et ne s’était point marié. Ses vassaux étaient assujettis å un grand nombre de redevances : du bois de chauffage, du poisson, des marins pour monter ses navires et même des barbiers pour le raser et lui couper les cheveux.
Il était toutefois remarquable qu’aucun de ceux qui étaient partis de la terre ferme pour raser le sire de Karn n’était revenu, soit qu’il les eût gardés auprès de lui, soit qu’il les eût fait périr. Et tous les barbiers avaient grand’peur que leur tour ne vint d’aller au palais du seigneur de Karn.
Un garçon intrépide nommé Losthouarn, du village de Pen-ar-Pont, résolut, confiant dans sa force et dans son adresse, d’aller à l’ile Karn la première fois que les vassaux du bon seigneur auraient à lui fournir un barbier. Il partit dans un petit bateau avec deux de ses amis du même village auxquels il recommanda de ne pas trop s’éloigner de l’ile pendant une heure; si au bout de ce temps, ils ne le voyaient pas revenir, c’est qu’il aurait succombé comme ceux qui y étaient allés avant lui.
Il aborde à l’ile et est introduit auprès du seigneur qui, s’étant enfermé avec lui, lui ordonne d’une voix terrible de le raser; en même temps il ôta sa coiffure, et Losthouarn voit que le sire de Karn avait des oreilles de cheval. Sans s’émouvoir, il commence à le savonner doucement, tout en causant avec lui, et sans paraitre s’étonner de l’étrange particularité de son seigneur; puis comprenant que tous les autres barbiers avaient été tués de peur que le secret des oreilles de cheval fut dévoilé, il profite du moment où le cou de Karn se trouve à la portée du rasoir, et le lui tranche d’un coup vigoureux.
Il sort ensuite du château, passe au milieu des gardes un peu surpris de le voir revenir sain et sauf, et regagne la barque où ses amis l’attendaient.