Saint Quay avait été faire son tour du monde du côté de Jérusalem, si bien qu'en passant, au retour, du côté de Lanvollon, il avait des ampoules tout plein ses pauvres pieds; le temps était chaud en diable, et quand le voyageur, qui était né natif de Plouha, arriva en vue de la mer, il avait une soif, une soif à vider un puits, s'il y en avait eu un par là.
Un peu plus loin, sur la côte, saint Quay aperçut un village et mit le cap dessus. Il y avait là sur le placis, huit ou dix femmes en train de baliverner, et le bonhomme leur demanda à boire. Faut vous dire que le vieux pèlerin avait une barbe rousse de trois pieds de long, et une figure jaune et maigre à faire peur; pas bonne mine du tout. En sus, vu le jeûne et les ampoules, il donnait de la bande comme un particulier qu'aurait pris plus d'un quart de vin à la cambuse.
-Et que tu vas filer, vieux gabelou ! lui dit une commère qui tenait un balai vert à la main.
-Oh! que j'ai soif! fit saint Quay.
-Tiens, voilà la mer, dit une autre, tu peux aller boire à ton aise....
Alors le bonhomme se mit à genoux; il enfonça son petit doigt, comme un fiferlin, dans le milieu d'une roche; et aussitôt voilà qu'une belle source se mit à couler, et saint Quay de boire, de boire à sa soif, et puis les femmes de regarder la chose avec un tremblement de stupéfaction, que cela leur parut louche en diable, si bien se qu'elles mirent à crier toutes à la fois :
-C'est un sorcier, c'est un sorcier! à l'eau, le renégat!
-Oui, à l'eau, le Bédouin! mais faut le fouetter avant, et de la bonne façon.
Là-dessus, elles jetèrent le grappin sur le pauvre bonhomme échoué sur le sable comme un cancre, et, ma foi, elles le mirent sans dessus dessous et te lui flanquèrent une ration de filin, ou plutôt de genêt vert, que cela devait lui cuire après, naturellement parlant...
Quand les commères furent lassées de jouer du balai et de rire, voyant que le pauvre fatigué pouvait à peine virer sur sa quille, deux ou trois effrontées s'en allèrent prendre une vieille maie à pâte, on y plaça le bonhomme, et toutes les femmes se mirent à la manœuvre pour lancer à la mer ce navire d'un genre nouveau.
La falaise était très haute à cet endroit; n'importe, la maie et son matelot tombèrent d'aplomb sur la mer.
-Que le diable te conduise! dit une méchante harpie, en se penchant sur la falaise, pour voir si l'embarcation n'allait pas sombrer, et toutes les autres, tendant aussi le cou à gauche, se mirent à regarder.
Mais le petit canot filait tranquillement, avec bonne brise, et vent arrière, tandis que les commères regardaient toujours, le cou tendu comme une chaîne de cabestan.
A la fin pourtant, deux ou trois se retournèrent, éclatèrent de rire en considérant les autres. -Voyez donc, voyez donc, mes amies, comme leur cou est devenu long! -Oh! voyez donc, voyez donc, ripostaient celles-ci, en riant à se tordre, comme leur tête est de travers elles ont attrapé le torticolis, pour sûr.
Naturellement tout ce branle-bas de combat avait attiré toutes les commères du pays. Les curieuses tendaient un cou démesuré pour voir, et aussitôt tous les cous des bonnes femmes s'allongeaient, s'allongeaient et restaient virés à gauche...
Depuis cette fameuse aventure les femmes du pays ont conservé le cou long et de travers. Si vous ne voulez pas le croire, allez-y voir. Et l'on dit en outre, que le genêt ne pousse plus dans la contrée, sans doute parce qu'il fut employé, contre le pauvre saint Quay, au mauvais usage que vous savez.
A partir de cet endroit, un conte de bord se greffe sur la légende une chaloupe noire accoste le petit canot où est saint Quay, et un grand matelot, qui n'était autre que le diable, le prend avec une fourche et le hisse à bord; il lui propose un pacte, saint Quay refuse de le signer, se met en oraison et la pluie tombe; saint Quay la recueille dans son chapeau à trois cornes, la bénit et en asperge le diable et la chaloupe qui disparaît: saint Quay reste seul dans son petit risque-tout, et vient tranquillement aborder à la côte.