La Peste (ar Vossenn) est boîteuse. Cela ne l'empêche pas d'aller aussi vite que le vent. Seulement elle ne peut pas sauter les rivières. Elle n'a d'autre moyen de les franchir que de se faire porter sur le dos de quelque brave homme trop complaisant.
Un vieux, de Plestin, la rencontra un soir sur les bords du Douron. Elle était assise sur la berge, regardant l'eau couler. Elle venait de Lanmeur qu'elle avait dépeuplé et se rendait dans le pays de Lannion.
– Hé, vieux! cria-t-elle, auriez-vous l'obligeance de me prendre sur vos épaules pour me faire passer l'eau? Je vous en récompenserai bien.
Le vieux, qui ne la connaissait pas, y consentit. L'ayant chargée sur ses épaules, il entra dans la rivière. Mais à mesure qu'il avançait, il la sentait peser sur lui d'un poids plus lourd.
A la fin, épuisé, et le courant étant très fort, il dit :
– Ma foi, bonne dame, je vais vous planter là. Je ne tiens pas à me noyer pour vous.
– De grâce, ne fais pas cela. Ramène-moi plutôt à l'endroit où tu m'as prise.
– Soit.
Et il rebroussa chemin, sans trop de peine, son fardeau s'allégeant à mesure qu'il se rapprochait du rivage. Le pays de Lannion fut ainsi préservé de la peste. Mais si le vieux avait laissé tomber la vilaine groac'h (fée) au beau milieu de la rivière, comme il en avait eu d'abord l'intention, le monde eût été débarrassé d'elle à jamais.
(Conté par mon père, N.-M. Le Braz.)