Il y avait une fois à Landebia une jeune veuve qui avait un petit garçon d'une dizaine d'années. Elle était recherchée en mariage par un jeune homme qui souvent venait lui faire la cour. Son enfant lui faisait des reproches et lui disait :
-Si tu te maries à cet homme-là, jamais je ne l'appellerai mon père et quand je serai grand, je te quitterai.
Mais la veuve continuait à recevoir les visites de son galant: un jour qu'elle savait qu'il devait venir, elle envoya son enfant dans un champ qu'elle possédait à quelques centaines de mètres de chez elle, et elle lui dit qu'il fallait empêcher les corbeaux de manger le blé qui s'y trouvait.
Il y avait à peu près une demi-heure que le petit garçon y était, lorsqu'un homme se présenta tout à coup devant lui, sans qu'il l'entendit venir, parce qu'il était occupé à surveiller les corbeaux; aussi eut-il bien peur en l'apercevant.
L'homme lui dit d'un air doux :
-Que fais-tu là, mon petit gars?
-Je suis à garder mon blé pour que les corbeaux ne viennent pas le manger.
-Tu es surpris de ma présence, dit l'homme; mais ne crains rien ; je suis un saint et Dieu m'envoie pour empêcher les corbeaux de faire aucun dégât sur le territoire de Landebia; je vais garder ton blé, et les corbeaux ne pourront lui nuire. Toi, va-t'en bien vite pour préserver ta mère de celui qui veut te l'enlever; car si elle se remariait, tu y perdrais plus que si les corbeaux mangeaient tout ton blé. Si tu arrives à la maison avant que le galant de ta mère soit parti, tu peux être sûr qu'il ne se mariera pas avec elle.
Après avoir dit cela, le saint disparut. L'enfant courut à la maison, et y trouva sa mère en compagnie de son bon ami. Elle n'était pas contente de le voir rentrer, et elle lui dit :
-Tu reviens de bien bonne heure, je croyais t'avoir envoyé garder notre blé !
-J'y suis allé aussi, répondit l'enfant ; j'ai vu dans notre champ un homme qui m'a dit être un saint envoyé par Dieu pour empêcher les corbeaux de ravager la récolte sur notre paroisse; il m'a promis de veiller à notre blé, et que les corbeaux ne lui feraient aucun mal. Il m'a dit aussi de revenir à la maison pour te garder de celui qui voudrait te ravir à mon affection.
A ces mots, la veuve fit la grimace, et son futur se contenta de hausser les épaules, puis il s'en alla en promettant de revenir le lendemain. Mais il mourut dans la nuit; la veuve le pleura, mais elle ne chercha pas à se remarier et elle resta avec son enfant.
Son exemple a été suivi par les autres veuves de cette paroisse qui, à ce qu'on assure, ne se remarient jamais. Les corbeaux quittèrent depuis lors Landebia, et si par hasard, il en passe quelques-uns, on ne les voit jamais endommager la récolte; c'est depuis ce temps qu'on dit en proverbe :
A Landebia jamais
Veuve ne s'est remariée,
Ni corbeau n'a gratté.
Ou bien :
Jamais corbeau ne grattera,
Ni veuve se remariera
Dans la commune de Landebia.