La légende de l'abolition de la Gabelle par la duchesse Anne [Kerfot (Côtes-d'Armor)]

Publié le 14 décembre 2023 Thématiques: Assassinat , Impôt | Taxe , Mort , Noblesse , Promesse , Sel ,

Anne de Bretagne
Anne de Bretagne. Source Jean Bourdichon, Public domain, via Wikimedia Commons
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Source: Le Braz, Anatole / La légende de la mort en Basse-Bretagne: croyances, traditions et usages des Bretons armoricains (1893) (moins d'1 minute)
Contributeur: Fabien
Lieu: Château de Correc (disparu) / Kerfot / Côtes-d'Armor / France

L'Ankou a deux pourvoyeuses principales qui sont:
1° La Peste (ar Vossenn);
2° La Disette (ar Gernès, c'est-à-dire la Cherté).

Autrefois, il en avait une troisième: la Gabelle (ann Deok holen, le droit du sel). Mais celle-ci, la duchesse Anne en a purgé le monde.

La duchesse Anne demeurait au château du Korrec, en Kerfot. Un jour, son mari lui dit :
– La réunion des États va avoir lieu, il faut que je m'y rende.
– Prenez garde à ce que vous y ferez. Surtout, n'imposez pas de nouvelles charges à la Bretagne.
– Non, non.

Il partit, assista aux États, puis s'en revint à son manoir.
– Eh bien? lui demanda la duchesse.
– Heu! répondit-il, j'ai dû consentir à l'imposition de la gabelle.
-Ah !

Sans rien ajouter, la duchesse passa à la cuisine et glissa quelques mots dans l'oreille de la servante qui faisait cuire de la bouillie pour le repas de son maître.

Peu d'instants après, la servante servait la bouillie toute chaude. Le mari de la duchesse y planta la cuillère.

– Pouah! s'écria-t-il aussitôt, on a oublié d'y mettre du sel!
– Hé! répondit la duchesse, d'un ton goguenard, qu'importe!
— Cette bouillie est exécrable, vous dis-je.
— Il faudra cependant que vous la mangiez telle quelle. Vous devez l'exemple à nos paysans. Vous les privez de sel. Privez-vous-en vous-même.
– J'entends qu'on sale mes aliments!
– Abolissez donc la gabelle.
— Je ne le puis. J'ai juré d'aider à la maintenir, tant que je vivrai.
– Tant que vous vivrez ?
– Certes. – Oh! bien, ce ne sera donc pas pour longtemps ! fit la duchesse Anne, et, prenant sur la table un couteau à lame effilée, elle le plongea dans le cœur de son mari. Puis elle ordonna à un de ses domestiques d'aller annoncer partout que la Gabelle était morte.

Les nobles protestèrent :
– Votre mari, dirent-ils, avait cependant juré de maintenir la gabelle, tant qu'il vivrait.
– Oui, répondit la duchesse Anne, mais il est mort, et avec lui nous allons enterrer la Gabelle.

Depuis lors, en effet, on n'a plus jamais entendu parler de ce fléau du monde.

(Conté par Anna Drutot. Pédernec, 1888.)


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