Jacques était le jardinier de Monsieur le comte de Surgères, et comme il faisait tout son possible pour satisfaire son maître, il devint bientôt un horticulteur expérimenté. Monsieur le comte appréciait les services dévoués du brave Jacques, et quand celui-ci voulut se marier, il lui donna une charmante petite maisonnette, entourée d'un bon jardin.
Ce fut dans cette petite maisonnette que Marie, la fille unique de Jacques, vint au monde, et ce fut là que mourut la femme du jardinier, quand son enfant n'avait que cinq ans. Le pauvre Jacques, laissé seul avec cette enfant, l'éleva de son mieux, et Marie passait toute la journée dans le jardin du château, à regarder travailler son père.
Comme Marie était toujours dans ce jardin, elle apprit à aimer et à connaître toutes les belles fleurs, et tous les matins elle faisait une tournée pour admirer les fleurs nouvellement fleuries. Elle aimait aussi le chant des oiseaux, et passait des heures sous les grands arbres à les écouter.
Marie était toujours gaie et obéissante, et ainsi elle attira bientôt l'attention de la comtesse, qui lui adressa de bonnes paroles, et qui l'envoya dans le château auprès de la couturière, pour apprendre à coudre et à raccommoder.
Les leçons de la couturière, et celles de la cuisinière qui s'intéressa aussi à la petite orpheline, furent très utiles à Marie, et quand elle eut atteint sa quinzième année, elle était une bonne petite ménagère, et son père disait bien souvent qu'elle était presque aussi capable que sa chère mère, qui était maintenant aux cieux.
Marie était très reconnaissante, et cherchait tous les jours à prouver à la bonne comtesse combien elle la remerciait de toutes ses bontés. Quand elle allait dans les bois cueillir des fraises, elle apportait toujours les plus belles au château pour les offrir à sa bienfaitrice, et toutes les plus jolies fleurs de son jardin étaient mises de côté pour en faire des couronnes et des bouquets pour la fille de la comtesse, qui avait à peu près son âge, et qui s'était aussi montrée bien gentille envers la petite orpheline.
Marie était si adroite qu'elle apprit aussi à faire des corbeilles charmantes, et le soir elle en tressait toujours. Ces corbeilles servaient à porter les fleurs et les fruits au château, et de temps en temps Marie en vendait quelques-unes au marché, quand elle avait besoin de souliers neufs, ou d'une robe neuve ou de quelque chose d'autre.
La plus jolie de toutes ces corbeilles cependant fut réservée pour l'anniversaire de naissance de la jeune comtesse, car Marie voulait la lui offrir toute pleine de belles fleurs fraîches.
Elle se leva donc de grand matin, alla cueillir ses roses toutes couvertes de rosée, les arrangea avec goût dans la jolie corbeille qu'elle avait garnie de mousse, et quand ce cadeau fut prêt elle le porta elle-même au château. La jeune comtesse, Amélie, charmée de ce cadeau, l'admira beaucoup, puis elle pria Marie de l'attendre un instant, et courut dans la chambre voisine pour le montrer à sa mère. Quelques minutes après la jeune comtesse revint et dit.
Marie, ton cadeau m'a fait le plus grand plaisir et j'aimerais pouvoir à mon tour te donner quelque chose d'aussi joli, car je sais que c'est aussi ton jour de naissance aujourd'hui. Voilà pourquoi je te prie d'accepter cette robe, et j'espère que tu penseras à moi chaque fois que tu la porteras."
Marie quitta le château enchantée de son joli cadeau, et surtout des bonnes paroles de la jeune comtesse. Tout le monde se réjouit de son bonheur; tout le monde excepté Henriette, la femme de chambre de la jeune comtesse, qui avait espéré recevoir cette jolie robe, et qui était jalouse de l'affection de sa jeune maîtresse pour la fille du jardinier.
Marie avait à peine eu le temps de montrer sa belle robe à son père, quand la jeune comtesse entra dans leur maisonnette, pâle, tremblante, et hors d'haleine. "Oh, Marie," dit-elle, d'un ton de reproche, "comment as-tu pu faire une chose pareille? Rends-moi vite la bague en diamants de ma mère, et je te promets que je te protégerai !"
Marie, qui ne comprenait pas ce que signifiaient ces paroles, lui demanda une explication, et apprit bientôt que la bague en diamants de la comtesse avait disparu. La comtesse l'avait laissée sur la table, dans la chambre de sa fille, où personne n'était entré excepté la jeune comtesse et Marie; voilà pourquoi on l'accusait d'avoir volé le bijou.
Marie protesta son innocence, jura qu'elle n'avait ni vu ni touché la bague en diamants, et malgré les larmes et les prières de la jeune comtesse et de son vieux père, elle continua à nier le crime.
Son père convaincu finalement de son innocence, essaya de la consoler en lui disant que Dieu n'abandonne jamais ceux qui ont la conscience nette, mais la jeune comtesse refusa de la croire, et continua à la supplier de lui rendre la bague.
Quelques minutes après le bailli arriva, pour arrêter la voleuse, qui fut mise en prison, et le lendemain on la mena devant le juge, où elle jura de nouveau qu'elle était innocente du vol.
Malheureusement on appela la femme de chambre comme témoin. Elle était si jalouse de Marie qu'elle témoigna l'avoir vue prendre la bague en diamants, et sur ce témoignage le juge condamna la pauvre fille à plusieurs années de prison.
En voyant la douleur du fidèle Jacques, quand il apprit que sa fille avait été condamnée à languir en prison pendant plusieurs années, le comte promit de faire tout son possible pour adoucir la peine. Le résultat de ses prières auprès du juge fut que Marie fut condamnée à l'exil, et qu'on lui défendit de revenir dans cette partie du royaume.
Le pauvre Jacques, qui ne voulait pas abandonner sa fille, déclara qu'il l'accompagnerait, et malgré son âge avancé il se prépara à partir, laissant toutes ses possessions qui avaient été confisquées pour remplacer la bague volée. La seule chose que Marie et son père emportèrent fut la corbeille que la jeune fille avait tressée avec tant de soin pour la jeune comtesse, car Henriette en les voyant passer devant le château, la lui avait jetée, en lui disant de l'emporter, vu que sa jeune maîtresse ne voulait plus jamais la revoir.
Marie, accablée de tristesse, marchait lentement à côté de son père, qui quittait le pays à regret, et tremblait d'émotion. Le pauvre homme avait mené une vie si tranquille et si laborieuse, que les émotions des derniers jours lui avaient fait autant de mal qu'une longue maladie, et il tremblait comme s'il eut eu la fièvre.
Marie et son père marchèrent ainsi pendant quelques jours, cherchant un asile, se nourrissant des fruits sauvages qu'ils trouvèrent au bord du chemin, et couchant sous un arbre. Ces fatigues et ces privations rendirent le pauvre Jacques si malade, qu'il tomba enfin au bord de la route, et Marie s'aperçut avec douleur qu'il s'était évanoui. Elle regarda précipitamment de tous côtés, et voyant une petite maison au bas de la colline, elle y courut en toute hâte afin de demander du secours pour son père malade.
Le fermier et la fermière, qui étaient de bien braves gens, s'empressèrent de venir au secours du pauvre Jacques. Ils le transportèrent dans leur maison, le couchèrent dans un bon lit, et la fermière s'empressa de sacrifier une de ses poules, pour faire du bouillon pour le malade.
Grâces aux bons soins de ces braves gens, le bon Jacques se remit bientôt, et le fermier, ayant entendu leur triste histoire, lui offrit deux chambres dans sa maison. Le jardinier accepta cette hospitalité avec reconnaissance, et Marie travailla sans cesse pour montrer à la fermière combien elle la remerciait des bons soins qu'elle avait donnés à son père malade. Quand Jacques eut recouvré ses forces, il passa ses journées à cultiver le jardin du fermier, et ses soirées à lui tresser des paniers.
Trois années se passèrent ainsi, et Jacques et Marie étaient aussi heureux qu'ils pouvaient l'être loin de leur maison et des maîtres qu'ils aimaient tant. La pensée qu'on la croyait ingrate et voleuse, était bien amère pour la pauvre Marie, et elle se demandait bien souvent comment elle pourrait continuer à vivre quand son père, son seul ami, le seul qui la croyait innocente, ne serait plus là, pour la soutenir et la consoler par de bonnes paroles.
Jacques qui était maintenant fort âgé, travaillait tous les jours un peu moins, et quand le quatrième hiver arriva, il fut obligé de rester au lit, car il n'avait plus la force de se lever. Marie, assise à côté de lui dès qu'elle avait un instant de loisir, cousait et tricotait assidûment pour lui procurer les médicaments nécessaires et écoutait ses bonnes paroles. Le brave Jacques lui parlait sans cesse de leur séparation prochaine, et lui disait souvent qu'elle ne serait pas seule, vu que Dieu protège les orphelins.
Enfin le pauvre Jacques mourut; Marie le fit enterrer dans le petit cimetière du village, où elle allait tous les jours visiter sa tombe. Comme elle était trop pauvre pour placer un monument sur cette tombe, elle y apporta la corbeille qu'elle avait tressée pour la jeune comtesse, la remplit de mousse humide, et tous les jours elle y mettait des fleurs fraîches et les arrangeait avec grâce.
Le fermier et la fermière, qui avaient un fils unique, lui donnèrent enfin leur ferme en disant: "Cher fils, nous te donnons tout ce que nous avons maintenant, car nous sommes trop âgés pour travailler. Tu as toujours été un bon fils, et nous sommes sûrs que tu nous soigneras tant que nous vivrons."
Le fils jura de se montrer reconnaissant, mais malheureusement il était faible de caractère. Malgré les prières de ses parents, il épousa bientôt une jeune fille. des environs, qui était très capable mais très avare. Aussitôt qu'elle arriva à la ferme, elle relégua les parents de son mari dans la pauvre petite chambre de Jacques. Tous les jours elle répétait qu'il était bien ennuyeux d'avoir ces vieilles gens dans la maison, et elle ne leur donnait que peu de chose à manger.
Le fils souffrait de voir ses parents si mal traités, mais comme il avait peur de sa femme, il n'osait rien dire. Les vieux, assis dans leur petite chambre mal chauffée, regrettaient le passé, et disaient bien souvent qu'ils avaient eu tort de se défaire de leur propriété avant leur mort. Leur seule consolation était les soins affectueux de Marie, qui faisait tout ce qu'elle pouvait pour leur rendre la vie un peu plus douce.
La jeune fermière s'aperçut bientôt que Marie plaignait les vieux parents, et elle en fut furieuse. Pour se venger elle la traitait aussi mal que possible, la faisait travailler du matin au soir, la grondait toujours, ne lui donnait pas assez à manger, et pire que tout le reste, l'appelait toujours "La voleuse.”
Le vieux fermier et sa femme disaient souvent à la pauvre fille: "Partez, mon enfant, vous avez la vie trop dure ici ! "
Mais Marie refusait toujours de les quitter et répondait chaudement: "Qui vous soignera si je m'en vais? Non; je resterai ici aussi longtemps que possible, car vous avez besoin de moi, et je n'ai pas oublié comme vous nous avez reçus, mon père et moi, quand nous étions dans la misère!"
Afin de pouvoir rester auprès du pauvre fermier et de sa bonne femme, Marie supporta sans murmure tous les mauvais traitements de leur belle-fille. Elle travaillait même une bonne partie de la nuit, afin de gagner quelques sous, pour acheter un peu de vin pour fortifier la vieille femme, qui était devenue bien faible. Marie essayait aussi de les égayer et de leur rendre la vie plus facile, et les vieilles gens lui disaient souvent, les larmes aux yeux:
-"Ah, Marie, vous nous soignez mieux que le fils que nous avons élevé, et la belle-fille pour laquelle nous avons tant travaillé !"
La jeune fermière, qui écoutait aux portes, entendit cette remarque, et en fut si offensée qu'elle résolut de chasser Marie aussitôt que possible, et chercha seulement un prétexte pour la renvoyer. Le prétexte fut bientôt trouvé. La fermière étendit une pièce de toile sur l'herbe pour blanchir, et quand elle alla la chercher, ne la retrouva pas. La toile avait été volée, et la fermière accusa la pauvre Marie du vol et la chassa le soir même.
La pauvre Marie remercia encore une fois le vieux fermier et sa femme de toutes leurs bontés, et partit en pleurant. Arrivée au cimetière, elle s'assit à l'ombre d'un grand arbre, près de la tombe de son père, pensant y passer la nuit. La lune éclairait non seulement les tombes environnantes, mais aussi la corbeille remplie de fleurs fraîches, qui ornait la tombe du vieux jardinier. Il y avait une heure à peine que Marie était là, quand elle entendit une voix bien douce qui l'appelait familièrement par son nom. Elle leva la tête, et vit une belle jeune femme, vêtue de blanc, qu'elle prit d'abord pour un ange.
Cette jolie personne la prit doucement par la main, et lui dit avec bonté: "Ma bonne Marie, est-ce que tu ne me reconnais donc pas ?
Marie la regarda et reconnut la jeune comtesse Amélie. Étonnée de la trouver dans le cimetière à pareille heure, elle lui demanda comment elle y était arrivée. La jeune comtesse lui montra la jolie corbeille et répondit: "Chère Marie, je suis venue ici pour te demander pardon de tout le mal que nous t'avons fait. On a découvert ton innocence, et mes parents et moi nous aimerions bien racheter le passé!"
Marie, heureuse de savoir qu'elle avait enfin été déclarée innocente du vol dont on l'avait accusée, pleura de joie, et assura sa jeune maîtresse qu'elle ne lui avait jamais gardé rancune ni à elle ni à ses parents. Quand la première émotion fut calmée, la comtesse lui dit :
-"Chère Marie, que je regrette que ton bon père ne soit plus ici pour m'entendre. J'aimerais tant lui demander pardon de lui avoir causé tant de souffrances. Mais je suppose qu'il te tarde de savoir comment nous avons retrouvé cette malheureuse bague en diamants, la cause de tous tes malheurs. L'année passée je me suis mariée, et en été mon mari et moi nous sommes allés passer quelques jours au château de Surgères, où je n'avais pas été depuis ton départ.
Pendant notre séjour nous avons eu un orage terrible, la foudre a frappé un des grands arbres à côté du château et en a fait tomber une grande branche. En même temps que la branche, la foudre a abattu le grand nid de pie qui s'y trouvait. Mes jeunes frères se sont précipités sur ce nid le lendemain matin, et y ont trouvé une quantité d'objets brillants, entre autres la bague qui t'a causée tant de larmes. Tu ne peux pas t'imaginer notre joie et notre chagrin en la retrouvant. Nous étions si heureux d'être enfin convaincus de ton innocence, et si malheureux à la pensée de tout ce que tu avais souffert ! Il n'était que trop évident qu'une pie était entrée par la fenêtre ouverte, et avait pris la bague, car ces oiseaux aiment tout ce qui brille.
Mon père a immédiatement donné ordre de faire venir Henriette, qui a confessé combien elle t'avait détestée, et qui nous a raconté comment elle avait menti pour se débarrasser de toi. Nous avons de suite renvoyé cette créature envieuse et menteuse, et nous avons essayé de découvrir ce que vous étiez devenus, toi et ton malheureux père.
Malgré toutes nos démarches nous n'avons rien pu découvrir, et nous craignions que vous ne fussiez morts tous les deux. Ce printemps nous sommes venus en visite au château voisin, et aujourd'hui la dame du château m'a menée ici pour me montrer le cimetière du village. Après m'avoir fait admirer les plus beaux monuments, elle m'a dit qu'il y en avait un qui lui plaisait mieux que tous les autres, et elle m'a fait voir cette corbeille de fleurs fraîches.
La corbeille était si bien cachée par les fleurs, que je ne la reconnus pas d'abord, mais quand mon amie me dit que c'était la tombe d'un vieux jardinier, et que les fleurs y avaient été mises par sa fille Marie, je me suis mise à l'interroger anxieusement. Elle ne te connaissait pas, mais elle a appelé le bon prêtre, qui nous a raconté la mort de ton père, et nous a dit comme tu t'es montrée bonne et dévouée envers les braves gens qui vous ont recueillis.
Je me suis empressée, de me rendre à la ferme, où les braves vieilles gens m'ont raconté ton départ, et m'ont dit que je te trouverais probablement encore auprès de la tombe de ton père. J'y suis revenue en toute hâte pour te trouver, ma bonne Marie, et j'espère que tu nous pardonneras tout le mal que nous t'avons fait, et que tu viendras demeurer chez moi, car j'ai envie de t'avoir toujours auprès de moi."
Marie accepta cette invitation de grand cœur et accompagna la jeune comtesse au château voisin, où elle remercia Dieu de toutes ses bontés avant de se coucher. Le lendemain elle alla avec sa jeune maîtresse faire visite au vieux fermier. La comtesse Amélie ayant vu ces braves gens, et ayant appris par le prêtre combien ils avaient à souffrir de la méchanceté de leur belle-fille, le raconta au seigneur du château. Celui-ci en fut si indigné, qu'il alla à la ferme, rendit tout aux parents, et déclara à la belle-fille qu'elle serait forcée de les servir au lieu de les maltraiter.
Le fils, heureux de ce changement, remercia le seigneur, qui lui recommanda de ne plus jamais se laisser mener par sa femme. Quant à la jeune fermière, elle regretta bien sa mauvaise conduite, et apprit bientôt à être meilleure.
Marie accompagna la jeune comtesse à Surgères, où ses anciens maîtres la reçurent avec joie, et où elle fut bien heureuse. Elle servit la comtesse Amélie pendant plusieurs années, et quand elle épousa enfin un brave jardinier elle reçut une bonne dot, et alla demeurer dans la petite maison où elle était née, et elle y vécut bien longtemps en paix.