La légende du noyé de Caen [Caen (Calvados)]

Publié le 8 septembre 2023 Thématiques: Fantôme , Fleuve | Ruisseau | RIvière , Jeunes gens , Mort , Noyade , Promesse , Revenant ,

L'Orne à Caen
Ikmo-ned, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Collin de Plancy, Jacques Albin Simon / Légendes de l'autre monde, pour servir à l'histoire du paradis, du purgatoire et de l'enfer (1861) (3 minutes)
Lieu: L'Orne / Caen / Calvados / France

En 1695, un étudiant, nommé Bézuel, alors âgé de quinze ans, se lia d'amitié avec deux autres jeunes gens, étudiants comme lui, et fils d'un procureur de Caen, nommé M. d'Abaquène. L'aîné était, comme Bézuel, âgé de quinze ans, le cadet, plus jeune de dix-huit mois. Ce dernier s'appelait Desfontaines. On ne donnait alors le nom paternel, dans les familles, qu'à l'aîné; on formait des noms à ceux qui suivaient, au moyen de quelques propriétés vagues. Le frère de Pierre Corneille s'appelait de l'Isle, à cause d'un champ qu'un fossé bourbeux entourait.

Comme le jeune Desfontaines était d'un caractère qui sympathisait mieux que celui de son frère aîné avec Bézuel, l'attachement de ces deux écoliers devint très sérieux.

Un jour de l'année suivante (1696) qu'ils se promenaient intimement, ils lurent ensemble une certaine histoire de deux amis comme eux, lesquels s'étaient mutuellement promis, avec une certaine solennité, que celui des deux qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de son état au survivant. L'historien ajoutait que le mort revint en effet, et qu'il raconta à son ami des choses surprenantes. Le jeune Desfontaines, frappé de ce récit dont il ne doutait pas, proposa à Bézuel de se faire aussi l'un à l'autre pareille promesse. Bézuel, tout d'abord eut peur d'un tel engagement. Mais plusieurs mois après, dans les premiers jours de juin 1697, comme son ami allait partir pour Caen, il se rendit à sa proposition.

Desfontaines tira alors de sa poche deux papiers où il avait écrit le double engagement qu'ils devaient prendre. Chacun de ces papiers exprimait la formelle promesse, de la part de celui qui mourrait le premier, de venir apprendre son sort à son ami survivant. Il avait signé de son sang celui que Bézuel devait conserver. Bézuel, n'hésitant plus, se piqua la main et signa pareillement de son sang l'autre écrit, qu'il remit à Desfontaines.

Ce dernier, ravi d'emporter son billet, partit avec son frère. Bézuel reçut quelques jours après une lettre, où son ami lui annonçait que son voyage avait été heureux, et qu'il se portait bien. La correspondance devait continuer entre eux. Mais elle s'arrêta assez vite, et Bézuel était inquiet.

Or, le 34 juillet 1697, comme il se trouvait à deux heures après midi dans une prairie où ses camarades se livraient aux jeux de la récréation, il se sentit tout à coup étourdi et pris d'une sorte de défaillance, qui dura quelques instants. Le lendemain, à la même heure, il éprouva les mêmes symptômes, qui le frappèrent encore le surlendemain. Mais alors (c'était le vendredi 2 août) il vit s'avancer son ami Desfontaines, qui lui faisait signe de venir à lui. Il était assis, et dans l'abattement de sa défaillance, il fit à l'apparition un autre signe, en se reculant sur son banc pour lui faire place.

Les camarades qui circulaient à quelques pas de Bézuel virent ce mouvement, qui les surprit.

Comme Desfontaines n'avançait pas, Bézuel se leva pour aller à lui. L'apparition alors le prit par le bras gauche, le tira à l'écart, à trente pas de là et lui dit:

Je vous ai promis que, si je mourais avant vous, je viendrais vous le dire. Je me suis noyé hier dans la rivière, à Caen, vers cette heure-ci. J'étais à la promenade; il faisait si chaud qu'il nous prit envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans la rivière, et je coulai au fond. L'abbé de Menil-Jean, mon camarade, plongea pour me retirer; je saisis son pied; mais soit qu'il crût que ce fût un saumon qui l'attaquait, soit qu'il sentît le besoin impérieux de remonter sur l'eau pour respirer, il secoua si rudement le jarret, qu'il me donna un grand coup dans la poitrine et me jeta au fond de la rivière, qui est là très profonde.

Desfontaines raconta ensuite à son ami diverses. autres choses, qu'il ne voulut pas divulguer, soit que le noyé l'eût prié de ne pas le faire, soit pour d'autres raisons.

Bézuel voulut embrasser l'apparition. Mais il ne trouva qu'une ombre. Cependant l'ombre lui avait serré le bras si fortement, qu'il en conserva une douleur.

Il vit plusieurs fois encore le fantôme, toujours un peu plus grand que quand il s'était séparé de lui, et toujours dans le demi-nu d'un baigneur. Il portait dans ses cheveux blonds un écriteau où Bézuel ne put lire que le mot In. Il avait le son de voix de son être vivant, ne paraissait ni gai, ni triste, mais d'une tranquillité complète. Il chargea son ami de plusieurs commissions pour ses parents, et le pria de dire pour lui les sept psaumes de la pénitence, qui lui avaient été imposés par son confesseur, trois jours avant sa mort, et qu'il n'avait pas encore récités.

L'apparition se terminait toujours par un adieu exprimé en des mots qui signifiaient : Au revoir ! Enfin, elle cessa au bout de quelques semaines; et l'ami survivant, qui avait constamment prié pour le défunt, en conclut que son purgatoire était fini.


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