Il y a bien longtemps, dans la partie sud du pays, il était coutume de naviguer depuis le continent jusqu'aux falaises de Geirfuglasker, pour y chercher des oiseaux de mer et les œufs qu'ils avaient l'habitude de pondre. Il n'était possible de s'y rendre qu'une seule saison par an, pendant un laps de temps assez court. Et même à ce moment-là, le passage vers ces rochers était considéré comme extrêmement dangereux. Il y avait, en effet, peu de fond et une violente houle s'y abattait constamment.
Un jour, durant la bonne saison, alors que le temps semblait promettre une longue période de mer calme, des hommes s'y rendirent. Lorsqu'ils arrivèrent aux rochers, certains d'entre eux débarquèrent, les autres restant pour s'occuper du bateau. Soudain, un vent fort se leva, et les chasseurs furent forcés de quitter l'île en hâte, car la mer devenait dangereuse et le ressac battait furieusement les falaises. Au signal de leurs compagnons, tous ceux qui avaient débarqué purent rejoindre le bateau à temps, tous sauf un, un jeune homme, qui, dans son zèle, était monté plus haut et plus loin que les autres, et avait mis plus de temps à redescendre à la plage. Lorsqu'il y arriva, les vagues étaient si hautes que, bien que ceux qui étaient dans le bateau tentèrent l'impossible pour le sauver, ils ne purent pas s'approcher assez de lui pour lui permettre de monter à bord, et furent donc contraints, pour sauver leur propre vie, de ramer jusqu'à la rive. Ils décidèrent évidemment de retourner sur les rochers pour sauver leur compagnon dès que la fureur de la tempête se serait apaisée. Tous savaient qu'il y avait urgence, car si le vent ne se calmait pas rapidement, le jeune homme allait périr rapidement de froid et de faim. Ils essayèrent souvent de naviguer jusqu'aux falaises de Geirfuglasker, mais, tout au long de la saison, ils ne purent pas les approcher, le vent et le ressac les repoussant toujours vers le large. La mort dans l'âme, mais estimant que le jeune homme n'avait pas pu survivre aussi longtemps, ils abandonnèrent leurs tentatives et cessèrent de risquer leur vie dans cette mer en furie.
Ainsi le temps passa, jusqu'à ce que la saison de la chasse aux oiseaux de mer revienne. Le temps étant calme, les paysans embarquèrent dans leur bateau pour les Geirfuglasker. Lorsqu'ils débarquèrent sur les falaises, ils furent très étonnés de voir un homme venir vers eux, car personne ne pouvait vivre dans un endroit aussi sauvage et désolé. Lorsque l'homme s'approcha d'eux, ils reconnurent le jeune homme qui avait été laissé là l'année précédente et qu'ils avaient depuis longtemps considéré comme perdu. Leur étonnement fut extrême et ils devinèrent que, s'il était encore en vie, il le devait aux elfes. Ils lui posèrent immédiatement toutes sortes de questions. De quoi avait-il vécu ? Où avait-il dormi la nuit ? Que faisait-il pour avoir du feu en hiver ? Et ainsi de suite. Mais le jeune homme ne leur donnait que des réponses vagues, qui les laissaient aussi perplexes qu'ils l'étaient auparavant. Il dit cependant qu'il n'avait jamais quitté la falaise, et qu'il avait été très à l'aise là-bas, ne manquant de rien. Ils le ramenèrent à terre, où tous ses amis et parents le reçurent avec un étonnement et une joie sans bornes. Vint évidemment également le moment des questions, mais ils ne reçurent que très peu de réponses concernant sa vie sur les falaises pendant cette année entière. Avec le temps, l'étrangeté de cet événement et l'émerveillement qu'il avait suscité s'évanouirent de l'esprit des hommes, et on en parlait peu ou pas du tout.
Un dimanche d'été, des choses se passèrent dans l'église de Hvalsnes qui remplirent les gens d'étonnement. Il y avait beaucoup de monde, et parmi eux le jeune homme qui avait passé un an sur les falaises de Geirfuglasker. Lorsque le service fut terminé et que les gens commencèrent à quitter l'église, ils trouvèrent, sous le porche, un beau berceau avec un bébé dedans. La couverture était richement brodée et faite d'une étoffe que personne n'avait jamais vue auparavant. Mais le plus étrange dans cette affaire, c'est que bien que tout le monde ait regardé le berceau et l'enfant, personne ne revendiquait ni l'un ni l'autre, ou ne semblait savoir quoi que ce soit à leur sujet. En dernier, le prêtre sortit de l'église. Après avoir admiré et s'être étonné du berceau et de l'enfant autant que les autres, il demanda s'il y avait une personne présente à qui ils appartenaient.
Personne ne répondit.
Alors il demanda si quelqu'un avait un lien avec l'enfant et souhaitait qu'il le baptise. Personne non plus ne répondit ni ne s'avança.
Le prêtre jeta alors un regard sur le jeune paysan, dont le séjour sur les rochers de Geirfuglasker lui avait toujours paru particulièrement suspect, et le prenant à part, lui demanda s'il avait une idée de qui était le père, et s'il voulait que l'enfant soit baptisé. Mais le jeune homme, se détournant de lui avec colère, déclara qu'il ne savait rien ni de l'enfant ni de son père.
"Qu'est-ce que ça peut me faire", dit-il, "que vous baptisiez l'enfant ou non ? Baptisez-le ou noyez-le, faites ce que vous jugez bon ; ni lui, ni son père, ni sa mère ne signifient rien pour moi."
Alors qu'il prononçait ces mots, une femme, que personne n'avait jamais vu auparavant, apparut soudainement sous le porche. Vêtue de manière élégante, elle était d'une grande beauté et d'une noble stature. Elle arracha la couverture du berceau et la jeta à travers la porte de l'église, disant :
"Soyez tous témoins que je ne souhaite pas priver l'église de son droit de baptiser l'enfant."
Puis, se tournant vers le jeune paysan et tendant les mains vers lui, elle cria : "Mais toi, ô lâche sans foi, reniant ton enfant, tu deviendras une baleine, la plus féroce et la plus redoutée de toute la mer !"
Sur ces mots, elle saisit le berceau et disparut.
Le prêtre, cependant, prit la couverture qu'elle avait jetée dans l'église et en fit une nappe d'autel, la plus belle qui n’ait jamais été vue. Quant au jeune paysan, il devint fou sur-le-champ ; et, se précipitant vers les falaises d'Holmur qui s'élèvent à pic au-dessus des eaux profondes, il fit comme s'il allait s'y jeter. Mais alors qu'il hésitait un instant au bord du précipice, voilà qu'un changement effrayant s'opéra en lui. Il commença à enfler jusqu'à avoir une taille immense, jusqu'à ce qu'enfin, il devienne si grand, que le rocher ne pouvant plus le porter, s'effondra sous son poids et le précipita dans la mer. Il se transforma alors en une grande baleine, et la casquette rouge qu'il portait devint une tête rouge.
Sa mère raconta alors ce que son fils lui avait dit de son année passée avec les elfes du Geirfuglasher. Lorsqu'il avait été abandonné sur les rochers par ses compagnons (comme il le lui avait déclaré), il avait commencé par errer plein de désespoir, ne pensant qu'à se jeter dans les vagues pour mourir rapidement plutôt que de souffrir de la faim et du froid. Mais une jolie fille était venue à lui, lui avait dit qu'elle était une elfe, et lui avait proposé de passer l'hiver avec elle. Elle lui avait donné un enfant avant la fin de l'année, et lui avait permis de retourner à terre que lorsque ses compagnons étaient revenus sur les falaises, et à condition qu'il fît baptiser cet enfant lorsqu'il le trouverait sous le porche de l'église. Elle la menaça que s'il manquait à l'accomplissement de cela, la punition la plus sévère et le sort le plus malheureux lui arriveraient.
Maintenant, "Tête rouge", la baleine avait élu domicile dans le "Faxafjörd", et y causait d'énormes ravages, détruisant d'innombrables bateaux et noyant tous leurs équipages. Il devint ainsi dangereux de traverser une partie de la baie, et rien ne pouvait ni prévenir ses ravages ni le chasser. Après un certain temps, la baleine commença à hanter un étroit golfe entre Akranes et Kjarlarnes, que les habitants appelèrent alors "Hvalfjördur" (fjord des baleines).
À cette époque, un vieux prêtre vivait à Saurboer, dans le Hvalfjardarströnd. Bien que robuste et vigoureux, il était aveugle. Il avait deux fils et une fille, qui étaient tous dans la fleur de leur jeunesse, et qui étaient l'espoir et le soutien de leur père. Ses fils avaient l'habitude de pêcher dans le Hvalfjördur, mais un jour de mer, ils rencontrèrent la baleine, "Tête rouge", qui retourna leur bateau et les noya tous les deux. Lorsque leur père apprit la mort de ses fils, et comment elle avait été provoquée, il fut rempli de chagrin, mais resta muet.
Ce vieux prêtre était très compétent dans tous les arts magiques.
Peu de temps après la mort de ses fils, il demanda à sa fille de lui prendre la main et de le guider jusqu'au bord de la mer. Lorsqu'il arriva là, il planta l'extrémité du bâton dans les vagues, et s'appuyant dessus, il tomba dans une profonde réflexion.
Après quelques minutes, il demanda à sa fille : "Comment est la mer ?"
Elle répondit : "Mon père, elle est aussi brillante et lisse qu'un miroir."
Quelques minutes plus tard, et il redemanda : "Comment est la mer ?"
Elle répondit : "Je vois à l'horizon une ligne noire, qui se rapproche de plus en plus, comme si c'était un banc de baleines, nageant rapidement dans la baie."
Lorsque le vieil homme entendit que la ligne noire se rapprochait d'eux, il demanda à sa fille de le guider le long de la rive vers l'extrémité intérieure de la baie. Elle le fit, et la mer noire et déchaînée les suivait constamment. Mais comme l'eau devenait plus moins profonde, la fille vit que de l'écume sortait, non pas d'un banc de baleines, comme elle l'avait d'abord pensé, mais de la nage d'une seule énorme baleine à tête rouge, qui venait rapidement vers eux au milieu de la baie, comme si elle était attirée par une force invisible. Une rivière se jetait à l'extrémité de la baie, et le vieux prêtre supplia sa fille de continuer à le conduire le long de ses rives. Alors qu'ils remontaient lentement le courant, le vieil homme sondant chaque pas devant lui, la baleine les suivait, mais avec difficultés, car la rivière ne contenait que peu d'eau pour qu'un monstre aussi vaste puisse y nager. Pourtant, ils avançaient, et la baleine les suivait toujours, jusqu'à ce que la rivière devienne si étroite entre ses hautes parois rocheuses, que le sol sous leurs pieds tremblait alors que la baleine les suivait.
Ils arrivèrent à une cascade dans laquelle le monstre sauta avec un élan qui fit trembler la terre de part en part et vaciller les rochers. Ils arrivèrent enfin à un lac, d'où la rivière prenait sa source. Ils avaient suivi le cours d'eau depuis la mer jusqu'au lac Hvalvatn. Le cœur du monstre se brisa alors de fatigue de fatigue et d'angoisse, et il disparut soudainement.
Lorsque le vieux prêtre rentra chez lui, après avoir ainsi charmé la baleine jusqu'à sa mort, tous les habitants proches et lointains virent le remercier de les avoir débarrassés d'un si redoutable fléau.
Et au cas où quelqu'un douterait de la vérité de cette histoire de "Tête rouge", l'homme-baleine, nous pouvons ajouter que sur les rives du lac Hvalvatn, d'énormes os de baleine ont été retrouvés longtemps que cette histoire fut contée.