La légende du pacte avec le Diable de Théophile [Aden (Gouvernorat d'Aden / Yémen)]

Publié le 30 juillet 2023 Thématiques: Âme , Diable , Diable défait , Evèque , Légende chrétienne , Mort , Pacte avec le Diable , Prêtre | Curé , Prière , Reniement , Vengeance , Vierge ,

Diable et prêtre dans le desert
Diable et prêtre dans le desert. Source Midjourney
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Source: Collin de Plancy, Jacques Albin Simon / Légendes infernales: relations et facts des hôtes de l'enfer avec l'espèce humaine (1864) (5 minutes)
Lieu: Une église (inexistante) / Aden / Gouvernorat d'Aden / Yémen

Peu avant l'invasion des Perses dans l'empire romain, en l'an 538, il y avait dans la ville d'Adana, en Cilicie, un prêtre ou diacre nommé Théophile, qui remplissait auprès de l'évêque les fonctions d'économe ou de trésorier. Il menait une conduite si sainte et remplissait les devoirs de sa charge avec tant de charité que tout le monde le révérait. Les pauvres et les nécessiteux le bénissaient tous; tous ceux qui souffraient trouvaient en lui un cœur de père. On l'estimait si hautement, qu'à la mort de son évêque on voulut l'élever à sa place sur le siège épiscopal. Le vœu unanime du diocèse échoua devant son humilité. Le métropolitain de la province n'eut pas plus de succès, et, en admirant la modestie de Théophile, il dut céder à ses prières et envoyer un autre évêque.

Or, comme tous les gens qui font le bien ont pour ennemis ceux qui marchent dans la voie contraire, il se trouva des hommes envieux du bon renom de Théophile, qui le noircirent auprès du nouveau prélat. Rien n'est riche en ressources comme la calomnie; elle sait trouver dans les plus grandes vertus les plus grands vices, et dix calomniateurs un peu ardents peuvent tuer un homme de bien dans l'estime d'un million d'hommes. Nous sommes si imparfaits en général et si pleins de défauts, qu'il est rare que la calomnie ne nous séduise pas dès qu'elle nous montre que ceux qu'on vénère sont pires que nous. Le nouvel évêque, entraîné par les rapports mensongers qui lui étaient faits, renvoya Théophile en lui enlevant ses fonctions; et les malheureux, qu'on privait de son appui, ne furent pas écoutés.

Qui aurait cru que l'humilité qui s'était montrée si bien assise en Théophile se froisserait de cette mesure? Mais, hélas! de même que nous préférons les croix et les expiations de notre choix à celles que Dieu nous envoie dans sa sagesse, les plus humbles n'ont pas toujours assez l'humilité qui accepte les humiliations, et plusieurs résistent même à les subir; c'est ce qui arriva à Théophile. L'humilité n'était pas en lui sans limites. Il s'irrita contre l'humiliation; c'était déserter Jésus-Christ, qui en a été abreuvé, et qui nous a dit que nous ne pouvions nous sauver sans le suivre.

Irrité de sa disgrâce, privé des occupations qui lui étaient chères, tombé dans la vie inactive, il ne songea pas que l'oisiveté n'existe pas pour le chrétien, qui, toujours et partout en présence de Dieu, a tant à faire pour les soins qu'il doit à son âme. L'abattement et la tristesse attirent le démon, quand la cause en est tout humaine. Il laissa entrer Satan dans son cœur, et dès qu'il y fut, Satan lui inspira le besoin de masquer les calomnies et de se venger. Son âme, s'assombrissant, trouva du soulagement dans cet espoir. Échauffé par le souffle pervers, il n'hésita pas. Il s'en alla par une nuit sombre trouver un magicien célèbre dans la ville; il en obtint facilement une entrevue avec Satan, dans un carrefour où, pour avoir réparation complète, il dut renier le Fils de Marie et Marie elle-même, adorer le démon, et signer de son sang un pacte formel qui le donnait à l'enfer; il le scella de son cachet, et après cet acte il rentra chez lui plein d'espoir.

Le lendemain, l'évêque, éclairé on ne sait comment, et reconnaissant la fausseté des rapports qu'on lui avait faits sur Théophile, le fit avertir qu'il était rétabli dans son office. Il rendit grâces au démon qui le servait si vite, et se rendit auprès de l'évêque, qui sur-le-champ le présenta au clergé et au peuple comme un homme qui venait d'être victime d'adieuses calomnies, et qui méritait au plus haut point l'estime publique. Le bon prélat lui demanda même pardon de ce qui s'était passé et lui déclara qu'il mettait en lui une confiance sans bornes. Il reprit donc le cours de ses bonnes œuvres et se vit plus considéré que jamais,

Cependant sa situation était singulière. Son irritation calmée, il fit un retour sur sa vie, et peu à peu il comprit graduellement l'offense épouvantable qu'il avait commise. De nouveau il faisait le bien, et les insinuations que lui soufflait l'esprit du mal luttaient désormais contre des remords qui étaient des grâces. Mais comment réparer? Le démon, qui l'avait relevé, il le croyait du moins, pouvait le renverser de nouveau. Dans cette autre détresse, il s'imposa des jeûnes, des veilles, des prières. La prière n'est jamais vaine; elle est un aimant qui attire des grâces au plus coupable. Il se sentit inspiré de recourir à Celle qu'il avait outrageusement reniée aussi, à la Mère de la miséricorde.

Il souffrait à l'église et n'y entrait que contraint. Pendant quarante jours il s'en alla, à minuit, à lạ porte d'une chapelle de la sainte Vierge, et jusqu'au retour de la lumière il persista à la supplier avec larmes d'avoir compassion de lui.

Dans la dernière veille du quarantième jour, la toute bonne et toute généreuse Marie apparut à l'infortuné, mais en habit de reine et avec une majesté imposante :
– Malheureux, lui dit-elle, comment oses-tu t'adresser à moi, après que tu m'as reniée si lâchement en présence de mon ennemi? Encore si tu n'avais offensé que moi, qui pardonne si aisément mes propres injures! Mais ce qui est surtout odieux et que je ne saurais souffrir, tu as renié aussi mon Fils adorable, ton Dieu et ton Sauveur. Penses-tu que je puisse me présenter à lui et le prier pour toi?

Théophile, prosterné, ne se découragea point. Mais, en déclarant qu'il était indigne de pardon, il cita plusieurs grands pécheurs qui, après avoir offensé grandement, renié et trahi le divin Maître, avaient pourtant obtenu grâce. Il pria la sainte Vierge d'en augmenter le nombre. Il la supplia avec d'abondantes larmes d'intercéder pour lui.

Marie, touchée de sa vive douleur, lui promit son appui, s'il abjurait son abominable égarement, et s'il reconnaissait d'un cœur sincère son Seigneur Jésus-Christ pour le Fils de Dieu et le juge des vivants et des morts. Ce qu'il fit d'un cœur pénitent, en baignant la terre de ses larmes. La divine Mère le quitta alors, et lui promit de nouveau sa généreuse intervention.

Dès la nuit suivante, elle revint lui annoncer que le bon Sauveur, à sa prière, accueillait sa pénitence et lui donnerait le salut éternel s'il persévérait. Théophile, consolé, se répandit en actions de grâces. Mais pourtant une chose encore l'épouvantait; Satan gardait le pacte qui le soumettait à la puissance infernale. Il supplia la Vierge sainte, dont le pouvoir est si redouté aux enfers, de retirer ce malheureux écrit qui faisait sa terreur en même temps que sa honte. Trois jours après, il crut dans un songe voir encore une fois l'Immaculée venir à lui, tenant à la main le témoignage de son apostasie. Il s'éveilla en sursaut; mais il ne vit plus rien, sinon son pacte signé de son sang, que la sainte Vierge avait posé sur sa poitrine.

Le jour naissait et c'était un dimanche. Il se leva aussitôt, passa quelques heures en actions de grâces et en effusions de reconnaissance, puis il se rendit à l'église, où l'on commençait la sainte messe. Lorsqu'on eut dit l'Évangile, il se jeta aux pieds de l'évêque, lui demandant la permission de confesser publiquement le monstrueux péché qu'il avait commis. Il en exposa tous les faits devant la multitude des fidèles. Il montra le pacte qui l'avait lié au démon, et pria l'Église de lui pardonner. L'évêque, l'embrassant, voulut le réconcilier aussitôt; mais il demanda qu'auparavant on déchirât et on brûlât le pacte maudit; ce qui se fit pendant que le peuple criait miséricorde.

A la fin de la messe, le pénitent reçut la sainte communion, et aussitôt il fut pris, d'une fièvre qui acheva vite son expiation, car il mourut au bout de trois jours en bénissant son Dieu. Et l'Église l'honore le 4 février comme pénitent.


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