A l'époque où la belle Tamara, la Sémiramis du Nord, régnait sur la Grouzie [Géorgie], et faisait l'impossible pour continuer les nobles traditions du Tsar David, le libérateur, un puissant prince des croyants songea à faire de la jolie Tsarine l'ornement de son harem.
En ce temps là comme aujourd'hui, les montagnes de la Grouzie étaient célèbres par la beauté des femmes, et toutes les blanches filles qui cidaient (sic) les Seldjoucides à passer gaiement les instants dérobés aux affaires, étaient ordinairement achetées dans ce pays par les conquérants d'alors, quand on ne se contentait pas de les enlever tout simplement. « Il est évident que ces messieurs, fort amoureux sans doute, mais tout-à-fait ignorants de la plus vulgaire galanterie, commençaient toujours par essayer de ce dernier moyen et ils réussissaient souvent, quelque résistance que fissent ces braves filles du Caucase. Les chants petits-russiens sont pleins de récits à ce sujet et il est probable qu'à cet égard les vieilles ballades des Géorgiennes ne le cèdent en rien aux légendes oukrainiennes.
Vous allez voir d'ailleurs que l'entreprise offrait quelquefois de sérieux dangers.
L'autocrate mahométan envoya donc un de ses vizirs à la Tsarine. Belle Tsarine, lui dit-il, mon maître m'envoie vers la perle de l'Orient pour la prier de vouloir bien lui accorder sa main. Vous savez que l'empire de la Grouzie est peu de chose à côté de l'immense empire des Croyants et votre front plus blanc que les neiges éternelles de l'Oural ne saurait se contenter plus longtemps d'une couronne aussi mesquine. Donnez-moi une réponse favorable et j'irai combler de joie le cœur de mon maître qui meurt d'amour pour vous depuis qu'il a entendu vanter vos charmes sans pareils!
La Tsarine répondit par un refus dédaigneux.
Une seconde fois le vizir vint supplier Tamara d'accéder au désir du Calife et cette fois il osa faire entrevoir à la princesse les dangers de se montrer rebelle à une prière qui pouvait devenir un ordre.
La troisième fois ce furent des menaces qu'apporta le vizir.
Comme Tamara était inébranlable, le Calife résolut d'obtenir par la force ce que les prières, ni les menaces n'avaient pu lui donner. Il réunit une armée innombrable et s'avanca vers Tiflis.
Tamara, ne voulant pas être la cause de la ruine de Grouzie, eut recours à la ruse.
Il y avait sur la frontière de son empire, sur le territoire d'Ahaltsitsé, un plateau qu'elle jugea propre au dessein qu'elle méditait. Elle y fit creuser trois ou quatre rangs de fossés très profonds et ordonna de les recouvrir de branches et de terre.
Cela fait, Tamara se rendit en ce lieu avec toutes les femmes et les filles de sa cour, et attendit l'ennemi de pied ferme.
Dès qu'il parut, elle envoya un parlementaire qui déclara que la Tsarine consentait à tout pour éviter l'effusion du sang, mais à cette condition expresse qu'elle donnerait sa main et le trône de Grouzie au premier qui atteindrait l'endroit où elle se tenait, sans distinction de rang, une de ses filles au second, une au troisième, et ainsi de suite.
A peine les troupes indisciplinées du Calife eurent-elles entendu ces alléchantes conditions, qu'elles se précipitèrent dans un désordre indescriptible à la conquête des belles filles blanches...mais bientôt les malheureux culbutèrent les uns sur les autres dans les fossés où ils périrent par milliers, achevés facilement par les troupes de Tamara.
Des crânes de ces victimes de l'amour, la Tsarine fil élever une petite colline qui existe encore sur le territoire d'Ahaltsitsé, dans le voisinage de Satképel, sous le nom de Colline des Crânes des Amants. »