La légende du défi de Saint-Pierre contre Gargantua à Cramesnil [Craménil (Orne)]

Publié le 26 octobre 2024 Thématiques: Champs , Défi , Diable , Gargantua , Labour , Origine , Origine d'une roche , Pierre perdue , Pierre | Roche , Saint Pierre ,

Affiloir de Gargantua
Affiloir de Gargantua. Source Astérixobélix, Public domain, via Wikimedia Commons
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Source: Moricet, Marthe / Récits et contes des veillées normandes (1962) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Affiloir de Gargantua / Craménil / Orne / France

Le diable, autrement Gargantua ou le Géant, envoya un jour un défi à saint Pierre pour faucher. Saint Pierre accepta, et l'on convint de se trouver sur Cramesnil, où la place était difficile, les champs étant couverts ça et là de gros rochers qu'il faut savoir éviter, et le grain si court et si glissant qu'à peine on peut le saisir.

Gargantua monta dans son chariot trainé par trois démons, s'étant muni de sa faulx et de son olivier garni de sa pierre affiloir. Il venait de loin car il voyageait depuis longtemps lorsqu'il parvint dans la contrée, avec un fracas si grand qu'on crut entendre un tremblement de terre à plusieurs lieues à la ronde. Les côtes, les rochers, rien ne l'arrêtait, mais balançant sa tête décrépite, et se dressant sur ses pieds en forme d'ergots pour mieux se fixer sur son siège, il pensa plusieurs fois tomber en faisant la culbute.
"Par ma barbe, dit-il, les guérets sont rudes dans ce pays !".
Ayant encore éprouvé une violente secousse, en heurtant contre une roche énorme, " Oh là ! reprit-il, voilà une motte qui est dure comme du fer".

Enfin commença l'entrevue. Gargantua salua saint Pierre de la main; saint Pierre lui rendit son salut en s'inclinant avec dignité. Alors Gargantua fit trois sauts, deux en arrière, puis un en avant, et saisissant la calotte rouge dont il ornait son chef, il allait comme un élégant d'aujourd'hui passer la main sur ses cheveux pour les planer avec grâce, lorsque, dans cette opération, elle se trouva arrêtée par une des cornes. C'est alors qu'il résolut de s'incliner encore une fois profondément pour en finir. Les pourparlers ne furent pas longs; le concours commença.

Saint Pierre, en homme adroit, se mit près d'un bloc de granit et tourna tout autour. Gargantua voulut suivre, mais en vain, car sans s'en douter, il avait plus de besogne à faire; il avait donc beau se démener, il n'arrivait pas. Enfin pour la troisième fois, il s'écria : "Affilamus, Petre". Et saint Pierre de toujours aller et de répondre : "Non affilamus, Diabole".

Cependant Gargantua , voulant prendre à la hâte sa pierre pour affiler, la tira de son olivier, mais voyant que saint Pierre gagnait encore du terrain, il la lança loin de lui pour tenter un dernier effort. Alors, voyant qu'il ne pourrait rien à bout de regagner le temps perdu, il s'avoua de bonne grâce vaincu. Saint Pierre, content de sa supériorité, quitta Gargantua en le complimentant d'un air bénin, pour se rendre à son poste et Gargantua monta dans son chariot, sans penser à sa pierre affiloir qui était tombée debout dans l'herbage du grand Douit. Cette pierre a deux pieds d'élévation; elle est d'une belle qualité de granit et offre quatre faces bien marquées dont les quatre angles correspondent aux quatre vents principaux. L'herbage où elle se trouve est uni et le paysage sans effet, mais nous tenons beaucoup à cette pierre ; il faut vous dire que j'habite un village, voisin, où je suis né.

(Bibliothèque d'Alençon, Ms. n° 2653, fol. 81 r° - 82 r°).


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