La légende de Saint Martin et de l'église d'Ambierle [Saint-Haon-le-Vieux, Ambierle (Loire)]

Publié le 19 octobre 2024 Thématiques: Combat , Construction , Construction miraculeuse , Diable , Diable défait , Eglise , Empreinte dans la roche , Fée , Légende chrétienne , Origine d'une trace dans la roche , Saint Martin , Saint | Sainte ,

Eglise Saint-Martin
Eglise Saint-Martin. Source Matthieu.constant, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Noëlas, Frédéric / Légendes & traditions foréziennes (1865) (6 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Les Pierres Saint-Martin / Saint-Haon-le-Vieux / Loire / France
Lieu: Eglise d'Ambierle / Ambierle / Loire / France

– « La tante Jeanne nous dira comment notre belle église d'Ambierle a été bâtie par les fayolles. N'est-ce pas, tante, avec leurs baguettes, les fayolles travaillent mille fois mieux que vous avec vos aiguilles?

– « Assieds-toi sur mon sabot, petit raisonneur et n'en bouge. Ce n'est pas moi qui dirai du mal des fées; rien ne leur est facile comme de tailler la pierre aussi finement que des dentelles. Elles dérobent à l'arc-en-ciel les couleurs qu'elles savent fondre dans les pierres de la montagne; de ces pierres elles savent couler les vitraux. Mais je connais plus puissant qu'elles, sous la volonté du bon Dieu.

– « Ah! tante Jeanne, notre église est un ouvrage auquel autres que des hommes ont travaillé. Voilà pourquoi on voit sur les pignons ces vieux lutins de pierre, et dans les stalles du chœur ces laides figures qui font la grimace. Moi, je leur fais le poing... Va, va, diable de bois, tu ne me prendras pas !

– « Sois gentil, garçonnet, fais ta prière matin et soir, et moque-toi de l'estafier de saint Martin. Vois-tu sur les vitraux, dans ces niches dorées, les saints, les saintes, avec leurs robes rouges, violettes, vertes et bleues ? Qu'il fait donc joli regarder à travers ces vitres ! Le jaune, le vert, c'est le soleil et le paradis; le rouge, c'est le feu de l'enfer.

– « Voyez, ma tante, quand j'entre dans l'église, j'ai d'abord quasiment peur; tout est si noir sous ces hautes voûtes! Là-bas, là-bas, derrière ces colonnes, il fait sombre comme dans un grand bois; chaque pilier semble un arbre énorme et ses branches s'entrelacent amont comme les nuages dans le ciel; un seul tronc, du chœur à la rose au-dessus de la porte, les unit comme les feuilles sous un tilleul épais. Tout à coup le soleil brille sur le vitrail, un long éclair court sur les dalles jusqu'au grand escalier. Oui, les fayolles, avec leurs baguettes, seules ont pu faire tout cela.

– « Enfant, je connais plus puissant qu'elles, sous la volonté du bon Dieu !

– « Serait-ce mon père, qui est adroit à tout métier? serait-ce ma sœur, qui brode si bien au tamis, ou mon grand frère, qu'on appelle par ici le coq du village?

– « C'est bien un autre bourgeois que lui!

– « Mais qui donc, tante Jeanne?

– « Et le bon saint Martin, patron d'Ambierle, petit écoriné (étourdi)! C'était un ermite qui demeurait là-haut sur la montagne du Forêté, dans cet endroit où l'on voit tant de rochers curieux et de pierres que la main des sorciers a semées par les champs, les unes toutes droites piquées dans le gore (Le tuf), les autres formant des ponts, d'autres qui virent tous les cent ans et sonnent comme des cloches en branle. Enfin il y en a qu'on nomme les Pierres Saint-Martin.

« Le patron demeurait donc là-haut tranquille et priant Dieu. Il avait choisi, pour prendre son repas de fruits et de racines, une tronche de chêne sciée à raz du sol; pour son lit, un faix de feuilles sèches; il mangeait avec la fourchette d'Adam, dìnait à ne pas se charger de cuisine et dormait quand le diable lui en laissait le temps. Car, vois-tu, mon neveu, le démon en voulait à mort au saint et lui gardait, comme disent les avocats de village, une queue de chien; tout cela parce que saint Martin convertissait le pays et voulait bâtir une église. Une fois le canton devenu chrétien, Satan n'aurait eu des âmes que le rebut. Or, il aime à faire le maîtrignon ( Le maître, le petit intendant); je ne parle pas des étoupes embrouillées à la quenouille, des écheveaux entortillés, des biques à la crinière et à la queue tressées pendant la nuit, et le matin ruisselant de sueur, Dieu sait où le diable les a menées! Mais il n'y avait traquenards que l'estafier ne tendit à saint Martin. Celui-ci reposait-il sa pauvre tête sur les feuilles sèches, soufflait le moricaud, et le front couronné de l'auréole roquait contre terre. Le tronc de bois sur lequel le saint prenait sa pitance pourrissait mangé des vers; la fourchette à cinq piquants se brûlait au bouillon. Le saint se mit à la fin en colère, et rage de dévot dure aussi longtemps que le diable, disent les malins; cela ne s'explique guère, mais cela se voit malheureusement:

« Saint Martin choisit un rocher dans les bois : « Tu seras ma table, et je creuserai dedans mon écuelle, dit-il; là, j'aurai mon lit; là, mon chevet; ici, ma chaise; ce ne sera pas doux, mais le diable sera mourré.

– « Oh! pour le coup, tante Jeanne, Satan fut palot (restant planté comme un pal) et il rentra les cornes; mais comment donc l'église a-t-elle été bâtie?

– « Avec des pierres jaunes comme de l'or, mon petit; les fayolles, nièces du diable, les apportèrent de bien loin par le commandement de saint Martin. Elles amenèrent avec elles un maitre maçon qui depuis trente ans bâtissait leur palais de verre sous les rochers de Montenaud, adroit ouvrier, savant architecte, roi de la truelle et non pas bousilleur, comme ces porteurs de pain au bâton qui ne ramassent pas d'amis au pays et laissent zinguer la muraille; il avait nom Gendarme.

– « Eh! tante Jeanne, c'est donc aussi un chapeau à cornes! le diable s'en mêle toujours.

– « Je te dis, mon neveu, que saint Martin est puissant sous la volonté du bon Dieu. Il commanda donc de bâtir une église plus belle que tous les châteaux de fées. En trois jours, les voûtes s'arrondirent sur les piliers, les vitraux brillèrent au soleil, et les petits démons qui grimpaient sur l'ouvrage pour le faire abouser (tomber comme une bouse) restèrent figés dans la pierre, en faisant une horrible grimace.

– « Mais, ma tante, les anciens disent qu'il y avait sur l'église un beau clocher tout découpé à jour, qui tomba ensuite comme une mazottière. Autrefois ce n'était pas à Ambierle comme aujourd'hui église ici, clocher là et le diable entre deux.

– « Te tairas-tu, mauvais sujet! Je ne te mènerai pas voir les pierres de Saint-Martin; sois plus sage, je vais te montrer la Passion qui est derrière le grand autel... Tu ne m'écoutes pas?

– « Oh! si, ma tante, je vous le promets, je ne vous hacqueterai (harceler) plus, je ne vous tirerai plus l'aime par les yeux (donner le vertige).

– « Eh! mon cher petit, nous y voilà devant la Passion. Il faut bien tout regarder; n'oublie rien. Les petits saints de bois ont leur malice comme les autres; témoin Judas l'économe de la suite du Seigneur.

– « Oh! mais, tante Jeanne, ce n'était pas un saint, celui-là.

– « Il était bien de la compagnie. Défie-toi, mon enfant, des bouches câlines, des soumards (qui contrefait le sourd) et des gens qui se vendent; quel bonheur, si tous se pendaient! Mais vois, le bon saint Pierre tire son sabre pour couper l'oreille à ce Malcus en habit vert.

– « Oh! saint Pierre, pendant que vous êtes en besogne, coupez, coupez-les tous!

– « Non, mon enfant, le Seigneur ne veut point qu'on rende le mal pour le mal.

– « Alors, je vais tordre le cou à ce coq pour empêcher saint Pierre de renier son maître.

– « Mon neveu, voilà ce que cela signifie: sois prudent en paroles, et que ta langue ne dise le contraire de ce que pense ton cœur. Voici Caïphe et Pilâtre on leur a fait des têtes de bourreaux, des cavales rouges. Les soldats montrent de longues dents... Bon! en voilà deux qui se tiennent le ventre de colique... Si elle pouvait les empoigner tous!

– « Tante Jeanne, voilà un brave homme qui porte la croix du Seigneur.

– « Petit, apprends, d'après cela, à soutenir ceux dont le corps plie sous la misère. Sois doux et fort; à ceux qui ont soif, ne donne ni fiel ni vinaigre, et, par tes petites sottises, ne crucifie pas le bon Dieu; vois-tu, il est mort pour tous. Ces grands bourgeois, ces belles dames peints sur les volets prient comme nous autres, tout habillés d'or ou de velours qu'ils paraissent. C'est ainsi qu'on peut devenir meilleur chrétien, rien qu'en regardant la Passion.

– « Tante, on voulait donc nous la voler, notre Passion? N'avez-vous pas, comme les autres femmes d'Ambierle, monté la garde de peur qu'on l'enlevât? Je vous donnai des pierres plein votre tablier.

– « Tant que j'aurai de l'étoupe à ma quenouille, il n'y a pas de danger! La Passion, c'est la bénédiction du pays: elle empêche la maladie des bestiaux, elle chasse les fantômes malfaisants, elle éloigne la grêle de nos vignes. Parce qu'il y a des têtes brisées par ci et des jambes par là et que les peintures sont un peu fanées, on voudrait la mettre aux mains des patis (chiffoniers) de Paris. Non, non, les femmes d'Ambierle sauront garder leur Passion (tryptique derrière le grand autel) dans leur belle église; elles feront tant et tant, que le diable de saint Martin n'y mettra pas ses grippes! Ainsi soit-il !


Partager cet article sur :