La légende de l'enfant et du trésor du roc Py-le-Mortier [Ambierle (Loire)]

Publié le 17 octobre 2024 Thématiques: Echange d'enfant , Enfant , Lieu cachant un trésor , Mort , Pauvre , Pierre qui s'ouvre , Pierre | Roche , Prière , Richesse , Trésor , Veuf | Veuve ,

Le châtelat
Le châtelat. Source Google Street View
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Source: Noëlas, Frédéric / Légendes & traditions foréziennes (1865) (6 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Roc Py-le-Mortier / Ambierle / Loire / France

Le buis était en fleurs sur la montagne; c'était la veille du dimanche des Rameaux. De bon matin, les vignerons, pic et pelle sur l'épaule, étaient partis pour miner leurs rases; ils avaient sur les bords de la chave déposé leurs vestes de bure, et tous chantaient la vieille chanson apprise par les anciens à leurs petits-fils: la chanson de la vigne aide tant au labeur!

Plantins la vigne, ma mère, ze vous priou,
Plantins-la donc,
Et ne berrins de bon!
N'avins une vigneroune qu'ème lou bon vaïn, [J'ai coupé le reste de la chanson]

Le buis était en fleurs sur la montagne, et les ouvriers chantaient leur chanson; mais boursiz boursins n'est pas pour tout le monde. Un des travailleurs, triste et le cœur à l'envers, ne chantait point, mais baissait la tête et, sans rien dire, enfonçait son pic dans la dure, comme un affamé ses dents dans le pain noir.

Ce jour-là, pénible lui était la besogne; il avait faim, de cette faim qui vient de loin, n'est jamais assouvie et fait dire : Comment bien travailler quand le soleil luit dans le ventre? comment chanter? Ce jour-là, le pauvre ouvrier prit une forçure dont il tomba en languisson, et gagna le mal de la mort.

Et cependant il avait été fin vigneron et joyeux chanteur de la Saint-Vincent. Quand vint le temps du mariage, il le prit gaîment; mais la récolte, dit le proverbe, ne fait jamais rire deux fois le vigneron : trop belle au printemps, elle ment à l'automne. Lui, quittant le petit vigneronage qu'il tenait à moitié fruits, travaillait comme le plus pauvre journalier, suant sang et eau sans pouvoir joindre les deux bouts, car misère et maladie sont deux mauvais chevaux à nourrir.

Depuis que son mari était devenu mort, la veuve, accorte et proprette vigneronne, demeurait dans une petite maison derrière le bourg d'Ambierle, au-dessous du Châtelard. Dans cet endroit, les malheureux trouvent un loyer peu coûteux : la misère a ses recoins où elle vient chercher retraite, comme l'oiseau a son buisson. Sous le Châtelard, dit-on, dorment des trésors, argent qui ne fait rien et si bien se corrigerait du défaut de paresse chez les locataires d'en haut. Mais, vous le savez, chez tout le monde, c'est toujours le meilleur qui manque.

Dans sa maisonnette, la veuve virait son rouet toute la sainte journée, et le soir elle veillait aussi longtemps que les étoiles dans le ciel. C'est qu'elle avait à nourrir un enfant... Ce petit était venu pendant la maladie du père et quand déjà la misère avait auné ses doussils (langes). Pas moins, ce jour-là, le foyer avait brillé d'une figolée claire, la pâtière s'était couverte de plats qui ne soulaient s'y trouver, et le clocher d'Ambierle avait tinté un joli carillon: le vin et les cloches sont toujours d'accord quand nait un petit vigneron. Un an après, le buis était en fleurs sur la colliné, c'était le beau dimanche des Rameaux; mais l'àtre de la veuve n'avait pas un brin de feu, la huche était sans farine, le râtelier du pain était vide. Passant à son pied le cordon de la branlière (les deux montants auxquels est suspendu le berceau), la mère tout en filant chantait tristement:

Som, som, vene, vene donc!
Som, som, vene, vene donc !
Lou som, som, ne voult pas veni,
Lou petit ne voult pas dourmi...
Som, som, vene, vene donc!

L'enfant criait, c'était pitié! «Ah! disait encore la pauvre femme, j'aimerais mieux être à cent pieds sous le Châtelard, morte comme mon homme, que de voir souffrir ce filiot! Oui, j'aimerais mieux être à cent pieds sous le roc Py-le-Mortier! »

C'était le beau dimanche des Rameaux; tous les jours sont au bon Dieu, mais, pendant celui-là, pas de merveille qui ne se voie : les bêtes parlent, les bredindons (personne à l'intelligence bornée) ont d'aime un tantinet; il n'est pas jusqu'aux rochers qui ne trouvent l'occasion bonne pour s'ouvrir et faire voir les trésors qui bourrent leurs flancs. On le tient comme certain, le diable conserve ces richesses pour l'Antéchrist; celui-là les dérobera, à la fin du monde, pour acheter à Judas sa part de paradis.

La mère regardait en pleurant les roches grises du Châtelard; c'était l'heure où le prêtre, frappant du pied de la croix la grande porte de l'église, chante: « Princes, ouvrez vos portes; portes éternelles, exhaussez-vous, et le Roi de gloire entrera!... » Voilà que le rocher s'ouvre lentement. La vigneronne n'en croit pas ses yeux: une chambre s'étend sous la montagne; au beau milieu, un lit dressé sous ses rideaux d'or et de soie; au fond, brillants comme un soleil, de l'argent, du vermeil et de l'or! Jamais œil de roi n'en vit davantage; jamais tête de pauvre n'en rêva tant. Vite la mère accourt, serrant son nourrisson contre son cœur; elle le dépose sur le lit d'or; vite elle ramasse, elle entasse des richesses dans son pauvre tablier, et, en liant les bouts, comme sur un faix d'herbes, elle le charge sur sa tête qui se courbe; elle va revenir chercher son enfant!... Derrière elle, le roc tombe et se referme!...

« Voilà la mère qui a vendu son enfant ! Voilà la veuve à qui l'or ne coûte rien !... Son enfant? elle l'aura fait disparaître! Honte à la mère qui a vendu son enfant ! » Ainsi dirent les voisins charitables, et la vigneronne en eut tant de souci, qu'elle pensa devenir folle; dans son égarement, elle ébranlait le berceau vide, et à tue-tête chantait :
Som, som, vene, vene donc!...

Hélas! quand on est triste et seul à manger sa misère, je le tiens d'un ancien, il ne faut lâcher bride à son penser chagrin, ou bien il prend l'abade (à l'aventure) et vous entraîne avec lui. La veuve, pensant toute seulette, songeait à l'envers et noyait son cœur dans les larmes. L'or du Châtelard était pour elle comme un charbon de feu... Voilà la mère qui a vendu son enfant!

Enfin le bon Dieu prit pitié d'elle, parce que, du temps qu'il était sur la terre, une veuve de sa paroisse avait donné un denier aux pauvres de l'endroit. Il lui envoya donc des conseils en cheveux blancs. Un vieux moine du couvent était, pendant la grand'peur de la révolution, resté caché dans la caverne du roc de Châtelux; tout le monde savait un peu sa retirance, mais on fermait les yeux sur ça, et bien faisait-on, car il parlait comme un almanach, et de bonnes idées il avait plein son capuchon.

Il vint voir la vigneronne. « Mon enfant, lui dit-il, pour ce qui n'a été qu'une grande imprudence, le bon Dieu ne peut vouloir une éternelle peine; car si la misère vous pesait, l'argent mal acquis vous grève bien plus encore; mais je ne veux pas renouveler votre douleur, et ma parole vous sera douce. Cet or qui vous a tenté, ce prix de votre enfant perdu, jetez-le, répandez-le sur les pauvres qui vous environnent, sur les autres veuves qui trainent leur misère, sur les orphelins sans pain ni feu; alors vos richesses seront comme le bon grain semé, et celui qui sème dans la douleur moissonnera dans la joie. Pauvre femme, priez, mère sans enfant, priez nuit et jour la prière des mères est la meilleure à l'oreille du bon Dieu. Ne gardez de l'or du Châtelard que ce qu'il vous faudra pour vous mettre à l'abri des imprudences et de la tentation, et, si vos voisins vous offensent, soyez plus charitable qu'eux. La science des anciens temps, cette science que les vieillards seuls connaissent, et dont les âmes pieuses seules ne doutent pas, me dit que votre enfant n'est point à jamais perdu. Voici le conseil que je vous donne : tous les jours, portez sur le roc Py-le-Mortier le berceau vide, les langes proprets et la nourriture de l'enfant; tous les jours, priez sur le Châtelard, et, dans un an, le jour des Rameaux, à l'heure où le prêtre répond: « C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant aux combats!... » le roc Py-le-Mortier s'ouvrira. »

Un an, la mère pria sur le Châtelard; un an, elle apporta les langes et la nourriture de l'innocent; le lendemain, elle retrouvait les langes souillés, le potet vide. Un an, de la main de la veuve l'aumône tomba comme un fruit mûr d'un pommier de paradis. Et, tous les jours, la mère priait avec plus d'ardeur; tous les jours, elle priait sur le roc Py-le-Mortier. Les gens plaignaient la folle du Châtelard.

Vint le grand jour du dimanche des Rameaux; le grand jour de Pâques fleuries, jour où les bouquets sont mêlés à la verdure; le buis était en fleurs sur la colline. Chacun tenait en main la brindille verte; chacun dépouillait le buis de ses rameaux, et les vieux vignerons mettaient aux cordons de leurs chapeaux le brin bénit, comme un panache, et les jeunes enfants chantaient en portant les rames ornées de rubans, de pommes et de noix. C'était la procession du dimanche des Rameaux, l'heure où le prêtre frappe de la croix la porte de l'église, et que les chantres lui répondent : « Intrate... » Tout à coup le rocher s'ouvre, et, dans la caverne du Châtelard, sur le lit de soie et d'or, la mère retrouve son enfant!... Il n'avait ni souffert, ni profité; mais ses joues étaient roses comme les joues d'un ange, et il tendait ses petites mains. Les vieux paysans portaient à leurs chapeaux la brindille de buis bénit; les jeunes enfants, les branches enrubannées; mais le fils de la vigneronne portait, lui, un rameau garni de pommes d'or.


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