La station balnéaire d’Evian-les-Bains est aujourd’hui dans toute sa gloire. C’est une des localités que la mode a prises sous sa protection, et quelle que soit la vertu réelle de ses eaux, fût elle illusoire, – ce qui n’est certes pas, – Evian n’en est pas moins en possession du succès.
Mais son origine n’a pas l’honneur de se perdre dans « la nuit des temps. » La source précieuse qu’on désigne sous la dénomination de source Cachat est contemporaine des immortels principes de 1789; elle ne remonte pas plus haut. La source Bonnevie a été découverte il y seulement quelques années, et, parmi les innombrables sources minérales qui viennent prendre le soleil dans cette contrés privilégiée, il n’est guère que l’eau d’Amphion qui puisse présenter des titres à une origine nébuleuse.
L’histoire et la tradition s’accordent à dire que l’eau Cachat fut découverte par le marquis de Lessert, l’année même où Louis XVI convoqua ces fameux Etats-Généraux qui furent les derniers. Mais la légende, qui ne se pique pas d’exactitude lorsque la fantaisie et la poésie se réunissent pour la dédommager, la légende assure que cette source était déjà connue au moyen-âge par le bon ermite de Neuvecelle.
Joseph Dessaix a consigne jadis celle légende dans une feuille locale; mais un journal est essentiellement éphémère, et nous n’avons pour la reconstituer que les souvenirs qui nous sont restés d’une rapide lecture.
Le jeune Arnold aimait demoiselle Béatrix, la gente fille du riche seigneur de la Rochelle ; mais Arnold était pauvre, il n’avait d’autre titre que celui d’écuyer, et le seigneur lui refusa net sa fille. Cependant les larmes de la belle Béatrix eurent raison de la rigueur de son père, qui promit de consentir à ce qu’elle épousât l’écuyer s’il parvenait à le guérir d’une maladie qui le faisait horriblement souffrir et l’empêchait de monter à cheval.
Que faire en telle occurrence, quand on n’est ni médecin, ni sorcier, et qu’on n’a d’autre diplôme que celui d’amoureux ? On bat la campagne, on se morfond dans l’épaisseur des bois, on pleure sous les arbres, et de cette façon l’on a parfois la chance de devenir aussi habile que l’Esculape balnéaire le plus en renom.
Donc, Arnold pleurait et se morfondait sous les châtaigniers de Neuvecelle; dans son désespoir, il appelait la mort; ce fut un ermite qui accourut à ses sanglots.
La conversation fut bientôt engagée. Les désespérés ont la confidence facile, et les ermites, qui sont généralement des affligés en retraite, ont du baume à portée de la main. Le jeune homme eut bien vite mis le saint homme au courant de ses peines.
Viens, jeune homme, viens avec moi, dit l’ermite à l’intéressant écuyer. Puise de cette eau merveilleuse, fais-en boire au baron de la Rochelle, et… vous m’en direz de bonnes nouvelles.
Le baron but et fut guéri. Est-il besoin d’ajou ter que le baron de la Rochelle souffrait d’un calcul qui n’avait rien de mathématique, et que la source à laquelle avait puisé l’écuyer n’était autre que la source de Cachat.
La guérison du baron de la Rochette est une réclame qui a produit son effet ; aujourd’hui, pour peu qu’on éprouve quelques atteintes du côté du foie ou de la vessie, c’est un bon calcul que d’aller boire de l’eau d’Evian.