Un habitant de la commune de Bonnebosc, et il n'est pas le seul qui ait été l'objet de quelque sortilège, avait la fièvre depuis longtems; les remèdes n'y fesaient rien. Il est vrai qu'il n'y joignait pas la diète nécessaire et que, au lieu de tisane, il s'abreuvait de maitre-cidre. Un certain jour, certain pauvre se présente à la porte du malade et demande l'aumône. Celui-ci répond au mendiant que la fièvre l'empêche de travailler et qu'il ne saurait rien donner. - "Qu'à cela ne tienne, dit l'indigent; je vous guérirai." - " Bah ! s'écria la ménagère de la maison. Mon mari guérira bien sans votre magie." - "Oh ! que non ! Nous verrons .... " Le villageois, qui était plus crédule que sa femme, et qui voulait en finir avec sa maladie, prêta l'oreille aux insinuations du mendiant qui prononça quelques paroles mystérieuses, et appliqua sur le bras du malade un papier contenant un sort, et joignit à ces puissants moyens une pantomine qui, par malheur, excita le rire de la femme. Ce rire et son incrédulité ne tardèrent pas à être punis comme ils le méritaient : car tous ces hommes surnaturels ne veulent pas qu'on rie et surtout à leurs dépens. Après avoir fait son affaire, le magicien apostropha ainsi, en se retirant, la pauvre ménagère : " Madame, vous vous moquez, mais votre mari sera bien guéri que vous serez bien malade". En effet , peu de jours après cet entretien, elle perdit la raison dont elle avait fait un si mauvais usage. On fut obligé de l'enfermer. Dans cet état, elle se mit à effiler sa couverture de lit, en fit des cordelettes qu'elle tendit pour se livrer à l'exercice des funambule , et sortit pour aller sur les arbres sauter de branche en branche comme un écureuil, sans faire fléchir sous le poids de son corps de faibles rameaux qui se seraient cassés sous un chat.
Le mari, bien et bientôt guéri, comme on s'en doute, alla consulter des sorciers pour enlever le sort qui affligeait sa femme. Ils n'en purent venir à bout. Celui qui l'avait infligé était plus fort qu'eux : c'est ce que l'on voit communément chez les fées avec lesquelles aussi il n'est pas prudent de plaisanter. Enfin l'homme de Bonnebosc se décide à se rendre dans le Pays de Caux, qui ne passe pourtant pas pour réceler des sorciers et qui, si on l'accusait de magie en voyant ses opulentes récoltes, pourrait dire comme ce Romain montrant ses instruments aratoires : "Voilà mes sortilèges!" Toutefois, un sorcier fut trouvé et, moyennant finance, il retira le sort à condition qu'on désignerait un individu sur lequel il serait reporté, et qui, en conséquence, mourrait dans le cours de l'année. Au lieu d'un être animé, le villageois eut l'humanité de choisir une aubépine. La malade recouvra la santé, et l'arbre ne tarda pas à mourir.
( L . du Bois , Recherches archéologiques, historiques, biographiques et littéraires sur la Normandie. Paris, 1843, in - 8°, pp. 324-325).