La légende des prisonniers du Signore de Médicis [Firenze / Città Metropolitana di Firenze / Italie]

Published on Oct. 3, 2025 Themes: Assassinat , Infanticide , Libération , Mort , Noblesse , Pardon , Prison , Prisonnier , Punition , Revenant , Ruse , Sorcier ,

Palais Médici Riccardi
Palais Médici Riccardi. Source I, Sailko, CC BY-SA 3.0 <http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/>, via Wikimedia Commons
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Source: Leland, Charles Godfrey / Legends of Florence: Collected from the People, Volume 2 (1896) (8 minutes)
Contributeur: Fabien
Location: Palais Médici Riccardi / Firenze / Città Metropolitana di Firenze / Italie

Un groupe de maisons en face du Ghetto — aujourd’hui détruites — passait pour être le premier logis de la famille Médicis ; c’est sans doute à l’une d’elles que l’on peut rapporter les légendes suivantes. Comme pour toutes celles de ce recueil, l’histoire est traduite fidèlement, mais non mot à mot : livrées telles quelles par des gens très ignorants, les versions originales ne s’y prêtent pas. Pas un de ces manuscrits qui ne soit criblé de mots écorchés et soudés, « comme des pâtisseries glacées se collent à la cuisson » ; et l’auteur a eu « fort à faire » — sans que ce soit un passe-temps — pour alphabétiser toute cette analphabétisme, raboter l’enflure et la redite, tirer du cosmos du chaos… afin de se voir apprendre, par maints recenseurs, qu’il trahit ses sources, qu’il n’est pas fiable, et qu’il eût dû mettre des guillemets partout où Maddalena cessait de parler ou où commençait sa mise au net !


« Il était un seigneur Médicis, tel bien d’autres de ce nom, mauvais jusqu’à la moelle, allant au-devant du mal lorsqu’il ne venait pas à lui — un homme dont le péché commençait là où finit celui des autres, comme il sied à sa race et à son sang, come vengono di stirpe. Car, là où la plupart des méchants sacrifient des étrangers, lui trouvait ses victimes dans sa propre famille : il avait tué sa femme et porté la main sur sa propre fille.

Dans sa fureur, il frappa de son épée sa fille Olympia ; la croyant morte, il appela son geôlier et lui ordonna de garder le meurtre secret et d’ensevelir le corps. Mais cet homme et sa femme, voyant que la jeune dame respirait encore, la ranimèrent, la soignèrent avec toute la bonté possible et lui ménagèrent une chambre où elle vécut ignorée du monde.

Bientôt pourtant, le Signore de Médicis sentit le remords du meurtre de sa fille, et en souffrit nuit et jour. Or, parmi ses autres crimes, il avait dépouillé quantité de Florentins de leurs biens ; ceux qu’il n’avait pas tués, il les gardait prisonniers dans son palais. Parmi eux se trouvait un jeune gentilhomme nommé Giannoro, remarquable par ses grâces, ses talents et sa force d’âme et de corps, homme à trouver un chemin quand il y en a un — et à l’ouvrir quand il n’y en a pas. Il ne désespérait jamais : ce n’était pas de ceux qui croient que Dieu est mort parce qu’ils n’ont pas eu de dîner.

Le Signore de Médicis — dans la mesure où il lui arrivait de ne pas haïr totalement un être humain — avait quelque estime pour ce jeune homme ; au lieu de l’enfermer au cachot, il lui laissa une chambre haute, avec air et lumière. Il advint qu’un jour Giannoro, examinant le mur de sa chambre, y distingua comme les lignes d’une porte ; il s’avéra qu’il y en avait une, soigneusement murée — peut-être depuis des siècles. Il se mit à l’ouvrir, et finit par y parvenir ; entrant, il se trouva dans une pièce symétrique de la sienne, face à une jeune dame d’une grande beauté et, semble-t-il, d’un esprit égal. Elle lui dit :

— Vous êtes, je pense, le Signore Giannoro, que l’on tient enfermé dans la pièce voisine. Je suis la fille du Signore de Médicis ; je ne crois pas qu’il y ait au monde enfant qui ait plus lieu que moi d’avoir honte d’un père, ni d’être plus malheureuse. Qu’un parent soit plus vil ou plus cruel envers les siens que ne l’a été le mien, c’est impossible. De sa propre main, sans cause, il a tué ma mère ; de son épée il m’a frappée, me croyant morte ; puis il a chargé son geôlier de m’ensevelir en secret. Cet homme — avec plus de miséricorde que mon père — ayant constaté que je vivais encore, fit avec sa femme tout ce qui était possible pour me sauver. Ils me cachent et me traitent bien, au prix d’un grand risque pour leurs vies ; ainsi j’attends l’heure où une lourde rétribution tombera sur mon père, car je suis certaine qu’il sera bientôt puni de ses crimes monstrueux.

Signore Giannoro répondit qu’il en était, lui aussi, convaincu : nul n’échappe au châtiment quand deux personnes intelligentes, cruellement lésées, peuvent combiner leurs moyens — sachant qu’elles sont dans leur droit. Car, dit-il, Dolce cosa è vendicar giusta onta — « Il est doux de venger une injure véritable » ; et bien que l’on dise :

Chi vuol giusta vendetta, In Dio sólo la metta — « Celui qui veut une juste vengeance, qu’il en laisse à Dieu le soin », là où l’iniquité et la souffrance sont extrêmes d’un côté, mettre fin au mal, c’est encore faire l’œuvre de Dieu. Et ces deux jeunes gens parlaient ensemble tout le temps — ils en avaient à foison, minute après minute — et non seulement ils s’aimèrent bientôt aussi profondément que jamais couple s’aima, mais à force de tramer et discuter, fra loro facevano mille e mille progette, ils conçurent un plan pour gagner leur liberté et châtier comme il convient le Signore de Médicis. Voici comment.

Le Signore de Médicis avait coutume de convier une fois la semaine, à souper, tous ses prisonniers — non point par bonté, mais parce que, d’humeur venimeuse et de langue plus acérée que nul autre en raillerie et sarcasme, il aimait faire de ces pauvres gens la cible de ses traits. En vérité, un vile in tutti i modi : homme infâme à tous égards, muni d’une langue si mordante que personne ne lui tenait tête.

C’est sur ce don funeste que Giannoro comptait pour le dompter ; nos talents, tournés au mal, nous trahissent immanquablement. Au souper suivant, tous assis, le Signore de Médicis dit :

— Je gage que vous autres chiens souhaiteriez voir surgir quelque magicien ou sorcière pour vous tirer des cachots. Ah ! pauvres gredins, n’y comptez pas ; aspettar e non venire — attendre ce qui ne vient jamais — voilà votre lot si vous espérez revoir la liberté. J’ai juré que vous vivrez et mourrez prisonniers, en dépit du diable. Je n’ai foi ni en lui ni en les sorcières : pas un entre vous n’envoûtera la serrure de sa geôle, et il n’y en aura jamais. Allez, offrez vos âmes — nul ne m’échappera.

— Pardon, Signore Médicis, répondit Giannoro ; on peut fort bien être mage sans savoir se faire la belle. Bon marchand ne rime pas nécessairement avec vendeur d’éléphants. En magie, il y a galettes et galettes — de froment et de seigle. Moi-même, je suis un peu sorcier : j’ai étudié la philosophie ; je peux pénétrer jusqu’au plus profond du cœur humain, lire tous les mystères du remords — oui, et donner remèdes au souffrant ; et pourtant, je ne sais pas percer les murs de pierre. Je puis même faire lever un mort et, si l’esprit le veut, le rappeler à la vie ; mais jamais je n’ai appris à forcer une prison. Vous-même, ô Signore, êtes puissant et avisé ; vous savez mieux que personne si vous pouvez tout, ou si vous n’avez pas des douleurs auxquelles vous ne pouvez rien.

Le Signore de Médicis, frappé, dit :
— Si tu peux me dire ce qui m’afflige le plus, je te rends la liberté à l’instant.
— Oui, et si j’apporte la preuve que je sais un tel secret, ma vie ne tiendra pas une seconde. Malheur au faible qui laisse voir qu’il connaît les affaires privées des grands !
— Signore Giannoro, viens avec moi dans une autre pièce.

Là, le Signore dit :
— Si tu connais mon secret, tu en sais davantage ; et si tu peux faire ce que tu dis, tu sais bien que je dois t’épargner la vie — pour la mienne.

Alors Giannoro dit :
— Tu as tué ta femme ; puis tu as assassiné ta fille Olympia. Maintenant Dieu te tient au-dessus de l’enfer, prêt à te lâcher, à moins que les morts ne te pardonnent. Les heures sont brèves, le temps fuit, et l’enfer bâille pour toi. Il vaudrait mille fois mieux être, en cet instant, ton plus misérable prisonnier dans ton plus profond cachot, que le Seigneur de Médicis. Et tes chances d’échapper sont minces.
— Et quelles chances me restenta-t-il ?
— Si les morts y consentent, je puis faire paraître l’une d’elles dans ce château, peut-être tout de suite. Tu n’auras pas à soupçonner que je t’emmène loin pour fuir en chemin : ce doit être ton terrible jugement, ô Signore ; une punition effroyable et une longue pénitence t’attendent. Mais le lieu et la manière de l’apparition dépendent de la volonté du mort ; si l’on n’y satisfait pas jusqu’au moindre détail, nous mourrons l’un et l’autre. Note-le : si tu me laisses disposer de tout sans entrave et que je ne fasse pas lever le mort, tue-moi sur-le-champ. Mais prends garde à l’enfer : si tu ne vois pas l’esprit, ta vie sera brève.

Le Signore de Médicis, fortement impressionné par le savoir de Giannoro, consentit. On convint que, dans une heure, il viendrait dans la chambre du prisonnier et, à un signal, évoquerait sa fille. La pièce était faiblement éclairée ; le Signore attendait, anxieux. Au signe de Giannoro, il s’écria :
— Olympia !

Et voici que, comme à travers le mur, parut la forme de sa fille, vêtue de blanc. Dans une grande crainte, il dit :
— Es-tu ma fille ?
— Je suis ta fille, que tu as assassinée — tout comme tu as tué ma mère.
— Puis-je jamais être pardonné ?
— Tu es condamné à l’enfer éternel, et à une peine telle que peu en subissent, car peu sont aussi vils que toi, ou ont tant lassé Dieu par leurs crimes. Pourtant, même à présent, tu peux être épargné, et je puis être rendue de la mort à la vie ; mais pour cela, il te faut une pénitence jusqu’à la dernière limite de l’endurance. Écoute bien les conditions : qu’il en manque un grain, et tu n’échapperas pas.

Premièrement, tu libéreras tous tes prisonniers.
Deuxièmement, tu te mettras à genoux devant eux comme un esclave, leur demanderas pardon et exécuteras à la lettre ce qu’ils t’ordonneront.
Troisièmement, tu restitueras à chacun tout ce que tu lui as pris — jusqu’au dernier quattrino.
Quatrièmement, tu entreras au monastère.
— Car je t’ai dit que ta pénitence sera terrible.

Le Signore de Médicis, saisi de peur, promit tout.

Sans tarder, il fit rassembler ses prisonniers et leur dit :
— Jusqu’ici, j’ai été possédé d’un diable — oui, d’un vrai diable. À présent il a été banni, ora il diavolo sie a lontano, et je me repens. Je vous rends tous à la liberté, et je vous implore de me pardonner le mal que je vous ai fait. Je vous restitue vos biens. Faites de moi ce que vous voudrez. Je vous donne pleine licence de vous venger des grandes injustices dont je me suis rendu coupable. Que Dieu me pardonne ! Infligez-moi tout le châtiment que je mérite. Je supporterai le pire avec joie. Ne m’épargnez pas.

Il disait cela en pleurant.

Les gentilshommes prisonniers se consultèrent : « La main de Dieu est tombée sur lui ; laissons-le à Dieu. » Et ils répondirent :
— Nous nous contentons de votre repentir et ne demandons point vengeance. Rendez-nous la liberté et nos biens. Rien de plus. Que Dieu vous épargne d’autres peines.

Certains pleurèrent.

Le Signore de Médicis devint moine et entra à la Chartreuse ; mais son remords fut grand, et, après quelques mois, il mourut. Giannoro épousa la Signorina Olympia, et ils récompensèrent largement le geôlier et sa femme qui l’avaient sauvée. Ils vécurent bien et heureux depuis lors. »


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