La légende des joueurs de Fachepremont [Xonrupt-Longemer (Vosges)]

Publié le 21 octobre 2022 Thématiques: Âme , Diable , Diable victorieux , Joueur , Légende chrétienne , Mort , Pacte avec le Diable , Pierre | Roche , Punition ,

La boule du Diable
La boule du Diable. Source Hautes-Vosges.net
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Source: Bour Henry / La Forêt vosgienne, son aspect, son histoire, ses légendes (1893) (2 minutes)
Lieu: La boule du Diable / Xonrupt-Longemer / Vosges / France

Il y a bien longtemps, sur [la montagne de Fachepremont], les hommes passaient les soirées au jeu de boules, et ils étaient si passionnés pour leur distraction favorite que, dans le silence des belles nuits d’été , on entendait du fond des vallées voisines le choc des boules et les cris des joueurs.

Un dimanche de la Saint-Jean, ils s’attardèrent plus encore que de coutume, et jouèrent à la lueur d’un brasier. Soudain, ils remarquèrent au milieu d’eux un étranger, bizarre d’accoutrement et d’aspect, et tel qu’on n’en avait jamais vu un semblable dans le pays. Il avait des yeux de feu, des mains crochues, une barbe longue et ébouriffée et sur sa tête était posé un chapeau aux larges bords rabattus. Personne ne l’avait entendu venir, personne ne savait qui il était. Le jeu fut un instant interrompu, et tout le monde considéra avec étonnement et méfiance cet étrange compagnon. Mais lui, tout à son aise, s’adressa aux joueurs dans le patois de leur pays et leur demanda de prendre part à leurs jeux .

Comment refuser une offre si alléchante ? La partie s’engagea donc et l’étranger perdit, perdit… Mais, chose singulière, plus il sortait d’argent de sa bourse plus il semblait en rentrer. On aurait dit qu’il lui suffisait de se baisser et de toucher des cailloux pour les changer en pièces d’or. Il fallut que nos joueurs fussent bien échauffés par l’attrait du jeu et l’appât d’un gain facile, pour ne pas réfléchir à un fait aussi étrange. Enhardis par le succès, ils firent des paris extravagants, mais la chance tourna brusquement, et les malheureux perdirent non seulement l’argent gagné mais encore leur modeste enjeu.

Alors l’étranger se mit à ricaner et offrit à ses dupes un moyen de reprendre la partie interrompue. Il compta devant chacun d’eux vingt louis d’or qu’il leur promit, s’ils voulaient en échange vendre leur âme au diable. Les pièces d’or, agitées dans sa main, brillaient comme du feu. C’était vraiment une tentation du démon.

Cependant, comme le marché était grave, les plus intrépides hésitaient, tandis que l’étranger devenait plus insinuant, plus affable et plus pressant. Aveuglés par leur passion, les joueurs signèrent le pacte, et la partie reprit avec une ardeur nouvelle. Mais en peu de temps, l’or si mal acquis fut de nouveau perdu. L’étranger trichait au jeu, et, furieux, ses partenaires allaient se jeter sur lui, quand, tout à coup, la terre s’entr’ouvrit sous ses pieds ; une gerbe de feu et de flammes l’environna. Lucifer (car c’était lui), reprenant sa forme véritable, disparut dans l’abîme en leur criant : « Nous nous reverrons. »

En même temps, le brasier s’éteignait brusquement et les joueurs, fous de terreur, se trouvèrent plongés dans une épaisse obscurité. Le remords dans l’âme, tremblant de tous leurs membres, ils regagnèrent péniblement leur demeure , o ils rentrèrent au petit jour.

A partir de cette époque, on ne les vit plus rire . Ils moururent tous dans l’année, atteints d’un mal mystérieux et incurable, et tous les soirs, à minuit, leur âme revient jouer sur le lieu de leur perdition.

De la Roche du Diable on peut les apercevoir, par les nuits sombres, se chauffant autour d’un brasier et roulant des boules enflammées.

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Source: Géhin, L. / Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne (1894) (3 minutes)
Lieu: La boule du Diable / Xonrupt-Longemer / Vosges / France

Pendant les longues soirées d'hiver, les montagnards aiment à se réunir pour la veillée; les hommes fument leurs pipes au coin du feu, les femmes s'occupent de travaux de lingerie. Dès que la conversation languit, les grand’mamans racontent les histoires du bon vieux temps.

En voici une que nous avons retenue de l'hiver dernier, un soir que, chassé par le vent et la neige, nous avons demandé quelques heures d'hospitalité à un brave habitant du fond de Retournemer.

« Dans le temps, commença la bonne vieille, au milieu d'un silence religieux, ma grand'mère m'a raconté l'histoire des Joueurs de Boules. Je vais vous la dire.

« C'était à Fachepremont, pays autrefois appelé les Respandises de Vespermoundt. Les femmes aimaient déjà bien de causer, et les hommes étaient de grands joueurs devant l'Eternel; du moins, c'est grand'mère qui l'affirmait.

« C'était surtout au jeu de boules (jeu de quilles) que se passaient les soirées du dimanche; parfois dans la belle saison elles se prolongeaient fort avant dans la nuit. Il arriva qu'un dimanche de la saint Jean (24 Juin), les joueurs s'étaient attardés plus que de coutume, jouant à la lueur d'un brasier. Un étranger se trouva soudain parmi eux sans qu'ils aient su comment il était venu.

« L'étranger, fort bien vêtu, avait les pieds difformes, et les mains crochues; ses yeux étaient étranges: parfois, ils jetaient des éclairs comme des charbons enflammés. Un instant, les joueurs regardèrent avec défiance le nouveau venu; mais comme il prôchait lo patois (parlait le patois) et qu'il proposa une partie, nos Géromhèyes l'acceptèrent comme partenaire.

« La bourse du nouveau joueur était inépuisable; il perdit, il perdit; on croit même qu'il lui suffisait de se baisser et de toucher les cailloux pour les changer en pièces d'or. Nos Giromhèyes ne se tenaient pas d'aise; eux qui n'avaient jamais possédé que deux ou trois écus, en se sentant la poche pleine de louys d'or, se croyaient riches comme des princes; le gain les rendit entreprenants; ils firent des paris extravagants et, la chance les ayant abandonnés, ils perdirent non-seulement l'argent gagné, mais encore leur maigre boursicot.

« Ce fut au tour de l'étranger de ricaner avec un sourire diabolique et des éclats de voix qui donnaient froid dans le dos. En manière de plaisanterie, il offrit aux dépouillés de leur donner un moyen de continuer le jeu; il compta devant chacun d'eux 20 louys d'or, et les cédait si les Géromhèyes voulaient, en échange, vendre leur âme au diable. Les pièces d'or étaient toutes erlihantes (reluisantes), c'était vraiment une tentation du démon! Cependant comme le marché était grave, les plus intrépides joueurs hésitaient; l'étranger devenait plus souriant, plus pressant que jamais...

« Finalement, le démon du jeu l'emporta; les pièces d'or étaient si près et le diable si loin que le marché fut accepté et les boules envoyées avec une nouvelle activité.

« En peu d'instants les Géromhèyes perdirent leur or si mal acquis, l'étranger trichait au jeu; furieux, ils allaient se jeter sur lui, lorsque tout à coup, il frappa du pied, la terre se fendit, et il en sortit des flammes qui l'environnèrent complètement; ses habits, disparus comme par enchantement, laissèrent apercevoir à nos joueurs terrifiés Lucifer en personne avec son corps velu, sa queue de singe, ses griffes de chat; sa bouche enflammée et grimaçante lançait des gerbes de feu; il disparut en leur hurlant : « Au revoir ! »

« Brusquement, le brasier s'éteignit, les flammes disparurent, et nos joueurs, fous de peur, se trouvèrent plongés dans les ténèbres les plus épaisses. La chouette, au fond du bois, chantait son air de mort; la mannihennequin traversait les airs avec son cortège infernal; à la Beheuille et à la Roche-du-Diable on entendait le sabbat des sorciers et des crikis qui redoublait leur effroi. Le remords dans l'âme, tremblants de tous leurs membres, ils regagnèrent péniblement leurs demeures où ils rentrèrent au petit jour.

« A partir de cette époque, on ne les vit plus rire; ils moururent tous dans l'année, atteints d'un mal mystérieux incurable; au moment de les mettre en bière, les ensevelisseurs aperçurent, à leur grande terreur, un petit singe noir qui sortait du lit du défunt et se sauvait par la porte...

« Depuis lors les joueurs de Fachepremont sont condamnés à revenir tous les soirs, à minuit, jouer sur le lieu de leur perdition...

« De la Roche-du-Diable, on peut les apercevoir, par les nuits sombres se chauffant autour d'un brasier et roulant des boules enflammées. »


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