Asseyons-nous un moment, grand'mère nous racontera les Fées de Féyelle. Rien que de voir Fousse et Renombois on songe aux Fées.
-C'est quelque chose de bien vieux, mes enfants, et dont on ne parle pas à son aise, mais vous êtes fatigués, et puis il fait si chaud qu'il faut bien se reposer un peu. Je commence.
Vous voyez bien ces gros trous qui sont cachés sous les souches d'aubépine, c'était là qu'on entrait chez les Fées. Leur maison était tout partout bien au fond. Il y avait beaucoup de chambres où c'était plus beau qu'à l'église, à la messe de minuit.
On y voyait toujours plus clair que par ici sur terre en plein midi, tant il y avait d'étoiles de toutes les couleurs qui étaient attachées en l'air. Et puis tout partout les murailles c'était des miroirs qui reluisaient, qui reluisaient, qu'on ne pouvait les regarder et qu'on n'en voyait pas le bout.
Elles vivaient de l'air du temps et d'autre chose que je ne sais plus. Elles passaient leur vie à chanter, à badiner, à jouer, et puis quand il faisait beau elles sortaient la nuit par les trous de Fosse. Elles étaient si légères qu'elles ne touchaient pas terre et qu'on voyait clair au travers d'elles. Elles avaient des vêtements aussi fins que des toiles d'araignée. Le souffle de leur bouche sentait meilleur que toutes les fleurs des jardins. Tout Féyelle en était rempli que cela venait jusqu'à Landaville, quand c'était le vent. Elles chantaient des petites affaires que cela faisait venir l'eau à la bouche, et pnis elles faisaient des rondes, et puis elles se cachaient, et puis elles riaient. Mais il ne fallait pas que les enfants les entendissent, autrement elles se tenaient coites. Pour les personnes raisonnables, elles les laissaient approcher jusqu'au haut de Dix-cents.
Mais il y avait le Sotré qu'elles n'aimaient pas parce qu'il était toujours après elles, je ne sais pas pourquoi. Il venait par la route d'Aulnois. Il était fait à peu près comme un diable, il avait des cornes, une grande queue, des pattes qui marquaient dans la poussière comme celles d'un bouc. Il était si sale qu'il souillait tout ce qu'il touchait.
Quand il était sur Timoitâme, où l'on pendait dans le temps passé, il s'élevait dans l'air en tournant avec la poussière et les javelles pour qu'il pût voir si les Fées étaient dans Féyelle. Quand il les voyait il y courait en hurlant avec tous les mauvais nains du sabbat qui couraient après lui en montant Russapont, que cela faisait un brouillard qu'on n'y voyait goutte. Aussitôt que les Fées entendaient cette manigance, elles devinaient ce que c'était, elles se sauvaient comme des petits d'oiseaux devant le chasserot, et puis elles rentraient en tremblant dans leur maison dont elles fermaient bien les portes, et puis elles laissaient leurs voiles de toile d'araignée sur le ruisseau de Fosse pour que le Sotré ne vît pas où elles se cachaient.
Les Fées aimaient bien les gens de Landaville. Quand une vache ou bien une jeune brebis était perdue, elles la ramenaient la nuit devant la maison de leur maître.
Dans le temps du Carême, quand les gens faisaient la corvée et qu'ils tombaient dans la roie, elles venaient leur apporter de la tarte ; pendant la moisson c'était des prunes.
Voici le chien blanc, enfants ! prenons nos faucilles, parce que les Fées ne font rien pour les paresseux.