Bernard, fils de Richard de Menthon et de Bernoline de Duingt, est né en l’année 993 au château de Menthon, un superbe castel qui, perché sur un monticule, commande le passage du col de Bluffly, par lequel on pénètre de la vallée de Thônes dans le bassin d’Annecy.
Le fils d’une illustre famille ne peut que donner lieu à des espérances, et parmi les plus chères, celles d’une lignée interminable d’enfants et de petits enfants est sans contredit celle qui offre le plus d’attraits aux parents dont les ancêtres remontent plus haut que Jésus-Christ.- Ante natum Christum jam baro natus eram, dit l’orgueilleuse devise des de Menthon. Et Dieu le savait bien quand, pour faire plaisir à Abraham, il lui promit une postérité aussi nombreuse que les étoiles du firmament.
Richard de Menthon et Bernoline de Duingt. sa femme avaient dès longtemps arrêté dans leur sollicitude que Bernard serait l’époux de Marguerite de Miolans. Bernard grandissait, Marguerite en faisait autant, et tous les deux en étaient arrivés à ce point ou d’une fille il est utile et sage de faire une femme et d’un jeune homme un mari. Les deux jeunes gens furent prévenus de ce qu’on attendait d’eux; l’étonnement fut grand des deux côtés, mais du côté de Bernard ce fut plus que de l’étonnement.
En effet, la veille de son mariage, car les parents avaient tenu bon contre les objections de leur fils et poursuivi la réalisation de leur rêve de vieillesse, Bernard, poussé par un irrésistible désir de se consacrer à Dieu, prit la fuite comme un simple Mahomet; et lorsque : sa famille vint le chercher pour le conduire à l’autel, où l’altendait sa fiancée en nombreuse compagnie, sa chambre était déserte, et les barreaux de la fenêtre attestaient que le futur époux, qui aimait mieux être un futur saint, avait usé du seul moyen qui fût à sa portée de se soustraire aux soucis du ménage.
On montre encore, avec tout le respect dû à ces miraculeux vestiges, les barreaux que le jeune homme écarta pour opérer sa fuite, ainsi que l’empreinte de ses pieds sur le rocher où il tomba d’une hauteur de je ne sais combien de coudées sans se faire de mal.
Si Bernard de Menthon ne se fût soustrait par la fuite aux douceurs du mariage, le martyrologe compterait peut-être un saint de moins et sûrement les voyageurs de rencontreraient pas sur le Petit et le Grand Saint-Bernard ces admirables établissements où l’hospitalité est un mot plus vrai qu’en Ecosse.