C'est jour de veillée chez les parents de Jehanne, au village de Domremy en Lorraine.
Ce soir de 5 décembre, le gel sévit, ornant d'arabesques mystérieuses et scintillantes les vitres de la fenêtre bien close.
La bise gronde, gronde sinistrement; puis, soudain, comme sous l'effet d'une puissance magique, elle s'apaise, se meurt en un long et lugubre mugissement. La grande cuisine lorraine n'est plus assez vaste pour contenir tous les veilleurs !
Jacques Darc et son épouse, Isabelle Romée, les maîtres de céans, occupent les coins de l'âtre, sous l'immense manteau de la cheminée que soutiennent deux énormes piliers de bois.
Chaque nouvel arrivant s'assied, face à la flammée qui monte, haute et vive, éclairant d'une lumière intense, quasi brutale, ces visages anxieux où se lit l'inquiétude des temps présents, troublés par tant de maux, tant de désastres!
Jehanne, la brune enfant, aux yeux profonds, si profonds qu'ils en paraissent étranges, écoute, sans perdre une parole, les récits des veilleuses. Récits effrayants où se mêlent ces mots tant redoutés des bambins et qu'ils aiment d'entendre prononcer, malgré tout: l'ogre, la fée, la dame blanche, le revenant et le sotret.
Bientôt, Jeannette, sentant venir la fatigue, s'agenouille pieusement devant un grand crucifix de bois noir, elle incline la tête en un geste de soumission et récite, avec une ferveur mystique, sa prière du soir...
Mais, va-t-elle oublier que, ce soir, saint Nicolas de Lorraine visite toutes les cheminées du pays pour y laisser tomber, à l'adresse des enfants sages, de savoureuses friandises?...
Elle dispose, dans chacun des coins de l'âtre, suivant la charmante et naïve coutume lorraine, un sabot, proprement nettoyé, du grand-père défunt.
Quelques instants après, Jeanne, dans son petit lit tout blanc aussi blanc que son âme ingénue dort profondément.
Des rêves, tantôt terribles, tantôt délicieux, traversent son sommeil. Un souffle régulier, doux comms une caresse, s'échappe de ses lèvres...
La petite fille aux cheveux plus noirs que le jais, aux yeux profonds, si profonds, qu'ils en paraissent étranges, est endormie !
L'aurore va naître. Des flammes rouges, pareilles à des taches sanglantes, apparaissent sur les petites vitres en losange de la fenêtre que le gel a ornées d'arabesques mystérieuses.
Jehanne s'éveille, regarde un instant le rougeoiement des carreaux de sa chambrette; elle frissonne, peut-être de peur, hélas ! puis, hardiment, s'élance, de sa couchette, vers les sabots de l'aïeul.
O surprise!... Que voit-elle ?...
Elle s'arrête, de crainte toute remplie...
Une mignonne épée, à la lame d'acier, à la poignée de bronze est plantée dans l'un des sabots!
L'enfant se rappelle qu'une fois, au bord de la Meuse, proche le village natal, elle vit des hommes habillés de fer qui se battaient, frappant avec rage, à l'aide d'épées, plus grandes, il est vrai, que celle qu'elle a devant les yeux.
Serait-ce donc pour se battre, elle aussi, que saint Nicolas lui envoie un pareil présent ?
Chacun, dans le hameau lorrain, cherchait à comprendre la signification d'un tel miracle. Car, véritablement, c'était un miracle. Jacques Darc et son épouse, Isabelle Romée, jurèrent qu'ils n'étaient pour rien dans cette chose incompréhensible.
C'est pourquoi, cependant, quelques années plus tard, après avoir oui, à l'ombre tutélaire des chênes centenaires du Bois Chenu, les voix célestes de Monseigneur saint Michel et de Madame sainte Catherine, Jeannette, la brune enfant aux yeux profonds, si profonds qu'ils en paraissaient étranges, voulut, avant d'entreprendre son héroïque et périlleuse mission, aller rendre visite et se recommander à Monsieur saint Nicolas de Lorraine.
Ceci en souvenir de la mignonne épée à la lame d'acier, à la poignée de bronze, qui devait, en des journées dont le souvenir restera impérissable parmi nous espérons-le-bouter, jusqu'au dernier, les Anglais hors de France la doulce.