La légende de Penda Balou [Ballou (Tambacounda / Sénégal)]

Publié le 22 septembre 2023 Thématiques: Amour , Amour non partagé , Crocodile | Caïman | Alligator , Esprit , Fée , Mariage , Mauvaise fée , Mort , Ondin | Ondine , Origine , Origine d'une roche , Pierre | Roche , Ruse , Transformation , Transformation en animal ,

Le Falémé à Ballou
IDRISSA NIANGANE via Google Map
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Source: Bérenger-Féraud Laurent-Jean-Baptiste / Les légendes de la Provence (1888) (5 minutes)
Lieu: Roches noires sur le Falémé / Ballou / Tambacounda / Sénégal
Motif: F212: Le pays des fées sous l'eau F301.2: Un amant féerique séduit une fille mortelle

Près du village de Balou se trouvent, sur le cours de la Falemé, assez près de l'endroit où cette rivière se jette dans le Sénégal, des roches qui forment des rapides pendant la saison sèche, et que l'eau de la rivière couvre presque complètement au moment de l'hivernage.

Ces rochers noirs et arrondis constituent, à certaines époques de l'année, un véritable danger nautique pour les pêcheurs, dont les barques peuvent être brisées ou endommagées par un choc imprévu; aussi ont-ils leur légende, qui ne manque pas d'une certaine poésie, comme on va le voir.

Le village de Balou était, dans les temps, gouverné par un homme de bien qui n'avait que le défaut d'être faible et de laisser commander sa femme et sa fille plus qu'il ne fallait.

Par le fait de cette faiblesse, sa femme avait pris une influence considérable sur la marche des affaires du pays, et sa fille, la jeune Penda, admirable créature, plus belle que toutes les négresses [sic] des environs, à plus de dix journées de marche, était capricieuse, sans trouver jamais, soit chez son père, soit chez sa mère, un obstacle sérieux à ses volontés.

Grâce à cette indépendance de caractère, Penda, qui était une beauté accomplie, avons-nous dit, qui était la seule descendante du chef et qui, par conséquent, devait conférer à son mari une haute position dès les premiers jours du mariage, et même le commandement du village à la mort de ses parents;

Penda, dis-je, sachant que tous, autour d'elle, avaient grand désir de lui voir choisir un époux, s'obstinait à rester fille. C'est en vain que tous les jeunes hommes de Balou lui avaient fait des avances; elle les avait dédaignés tous sans exception.

Nombre de jeunes gens des environs, beaux, bien faits, guerriers renommés, fils de rois puissants, s'étaient épris d'elle : aucun n'avait obtenu de réponse satisfaisante; la fière jeune fille éconduisait d'un mot ou d'un regard les plus langoureux prétendants.

Penda jouissait d'une grande liberté dans sa maison: elle allait seule ou avec quelques jeunes amies se promener sur les bords du fleuve, se baigner en eau profonde; elle faisait, en un mot, ce qu'elle voulait, sans contrôle.

Un observateur eût pu remarquer que, si le matin, elle aimait à jouer avec ses compagnes, quand le soleil baissait, elle se dirigeait volontiers seule du côté de la Falemé.

Les pêcheurs la voyaient souvent assise au moment de la nuit tombante sur les rochers dont nous avons parlé; et bien que plus d'un lui eût dit en passant: Penda! prends garde à Goloksalah, l'entêtée jeune fille s'obstinait à rester ainsi jusqu'à une heure

avancée de la nuit, regardant couler l'eau dans cet endroit où les génies se montrent quelquefois, et où les mortels n'ont rien de bon à gagner.

Que faisait Penda pendant ces longues heures, assise sur les roches de Balou?

Elle écoutait les paroles d'amour d'un admirable jeune homme, qui venait tous les soirs, invisible pour les autres, visible seulement pour elle, se mettre à ses genoux et lui parler de ses beaux yeux, de son esprit charmant, en un mot, de tout ce dont les amoureux parlent.

Les choses duraient ainsi depuis longtemps, lorsque la mère de Penda prit un jour sa fille à part et lui dit : « Ton père se fait vieux, il faut un chef plus jeune au village; par conséquent, il serait nécessaire de faire sans tarder un choix parmi les nombreux jeunes gens qui recherchent ta main. »

La jeune fille essaya d'abord de se dégager par des réponses aléatoires; mais sa mère insistant, elle s'émut peu à peu et finit par avouer enfin que son choix était fait.

Seulement, au lieu d'un jeune guerrier du pays ou des environs, il s'agissait d'un admirable prince plus beau, plus galant, plus noble que personne. Penda lui avait donné son cœur sans savoir son nom, sans connaître sa famille, et elle lui avait promis de le suivre dans ses États lointains, renonçant ainsi, de la manière la plus légère, à ces projets légitimement caressés par sa famille, par le village entier, de lui voir épouser un homme qui viendrait prendre la succession du roi de Balou.

On juge du désespoir de la mère, de ses supplications, de ses colères; elle voulut reprendre tout d'un coup une autorité qu'elle avait laissé échapper et signifia à sa fille que, dès le lendemain, elle serait fiancée à un jeune homme qu'elle lui désigna et qui devait assurément faire un mari accompli.

La nuit venue, Penda désolée court aux roches, et y trouve son adorateur ordinaire; elle lui raconte tout. Les deux amants sont aux abois, les projets les plus insensés sont discutés, et enfin la pauvre Penda, dans sa candeur de pure jeune fille, accepte de suivre son beau jeune homme et d'abandonner ainsi : pays, famille, amis, tout enfin; ne craignant pas de désobéir aux ordres les plus sacrés.

Elle se jette à l'eau pour traverser la rivière, car les prétendus États du séducteur étaient de l'autre côté de la Falémé. Mais à peine a-t-elle fait ainsi le premier pas dans la voie de la désobéissance et de la faute, qu'elle est saisie sans pouvoir opposer de résistance, entraînée au fond de l'eau et conduite dans un palais sous-marin merveilleux de beauté et de grandiose.

Pleine d'effroi, elle se sentait mourir, mais elle est admirablement accueillie par des captives sans nombre, des serviteurs empressés qui exécutaient ses moindres volontés, qui lui obéissaient comme à une souveraine.

A peine revenue de sa surprise, elle entend la voix de son amoureux qui lui disait : « Ma Penda adorée ! j'accours près de toi; tu vas être ma femme, et nous vivrons éternellement ensemble d'un bonheur sans mélange.

Elle se retourne pour se jeter dans ses bras, et horreur!!! au lieu du beau et admirable jeune homme qu'elle était habituée à voir, elle aperçoit un épouvantable caïman, aux yeux glauques, à la gueule dégoûtante, au dos écailleux, aux pattes crochues, à la queue monstrueuse et au ventre vert.

On devine facilement l'effroi, la répulsion, les regrets de la pauvre enfant; elle avait imprudemment écouté les suggestions de Golok-salah, le génie redouté, qui s'était couvert des apparences d'un beau jeune homme pour la faire succomber, mais qui reprenait sa forme hideuse de caïman une fois rentré dans ses États.

Penda, plus morte que vive, résiste à l'horrible animal de toutes ses forces; et, près de succomber, implore le génie protecteur de sa famille, lui demandant la mort plutôt que le déshonneur.

Ce génie, qui avait une puissance assez grande pour lutter à armes égales contre Golok-salah; mais qui cependant n'était pas assez fort pour l'emporter sans peine, prit acte de la facilité que lui donnait le désir de mourir exprimé par la jeune fille; il la transforma en une grosse pierre noire, la préservant ainsi des atteintes de son monstrueux amoureux.

C'est donc le corps de Penda que l'on voit aux basses eaux. Toutes les nuits, Golok-salah vient la supplier de reprendre sa forme primitive, pour satisfaire son amour. Et ces bruits sinistres que l'on entend parfois dans les environs, sont les supplications, les prières, les colères de Golok-salah, les cris d'effroi et de résistance de Penda.

Malheur à celui qui s'attarde dans les environs, il court grand risque de payer son imprudence de sa vie. Plus d'une fois, la colère de Golok-salah a brisé une pirogue qui avait eu la hardiesse de passer trop près du corps de sa bien-aimée pétrifiée.


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