La légende du chevalier au cygne de Clèves [Clèves (Kleve),(Rhénanie-du-Nord-Westphalie / Allemagne)]

Publié le 1 juin 2023 Thématiques: Amour , Amour non partagé , Animal , Château , Chevalier , Duel , Fleuve | Ruisseau | RIvière , Libération , Mariage , Mort , Origine , Princesse , Prisonnier ,

Le Schwanenburg
Roger Veringmeier, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Kiefer F.J. / Légendes et traditions du Rhin de Bâle à Rotterdam (1868) (4 minutes)
Lieu: Schwanenburg / Clèves (Kleve) / Rhénanie-du-Nord-Westphalie / Allemagne

La jeune Comtesse de Clèves était dans une affliction, dans une détresse extrême. L'un de ses vassaux, drôle audacieux et insolent avait eu l'effronterie de lui refuser l'obéissance, s'était rendu maître de son château et de sa liberté, et poussait l'arrogance jusqu'à lui demander sa main et partant la souveraineté de ses terres. Elle ne savait comment se soustraire aux poursuites de ce sujet rebelle; car aucun chevalier de son pays n'eut eu le courage de jeter le gant à un adversaire dont la vigueur, la dextérité et la taille gigantesque devaient être fatales à tout agresseur. La pieuse affligée adressait sans relâche ses ferventes prières au ciel, espérant qu'un sauveur lui apparaîtrait enfin, ou qu'un champion s'enhardirait à prendre la cause de l'infortunée contre son odieux et importun vassal. Suivant la légende, elle portait suspendue à son chapelet, une clochette d'argent douée d'un pouvoir magique. Lorsque cette clochette vibrait doucement, le son s'en propageait au loin, bien au loin, mais dans une direction déterminée, et avec une puissance de timbre toujours croissante: c'est ainsi qu'elle aurait fait entendre à un roi lointain ses sons de détresse, et celui-ci s'empressa d'envoyer, en amont du Rhin, des secours à l'innocence opprimée. Ce roi bien qu'il crut que cet appel pouvait n'être qu'une vision, jugea néanmoins, que son fils unique devait s'y rendre. Celui-ci désireux d'aventures, saisit, comme les plus nobles chevaliers d'autrefois, l'occasion de prêter aux faibles, aux femmes surtout, la protection de son bras.

Sur les eaux du fleuve parut un cygne qui tirait une nacelle au moyen d'une chaîne d'or; parvenu au rivage, il s'y coucha et sembla attendre que quelqu'un voulut s'y embarquer. Le fils du roi se trouvait en cet endroit, d'où il contemplait ce lointain mystérieux, vers lequel tendaient tous ses désirs. Le jeune homme crut voir dans cette apparition un avertissement manifeste des puissances divines. Il entra dans la barque, et à peine y fut-il que le cygne remonta le Rhin et disparut aux regards étonnés du roi.

Sur ces entrefaites, était arrivé le jour que ce rebelle devenu maître, avait fixé pour la célébration de son mariage avec la Comtesse. Elle ne pouvait échapper à son sort, à moins qu'il ne se trouvât un chevalier intrépide qui s'engageât dans un combat à outrance avec ce scélérat. Déjà l'infortunée se croyait à jamais perdue. Au moment de mettre ses habits de noces, elle aperçut par les fenêtres élevées de son château un cygne qui remontait le fleuve avec une nacelle. Un jeune chevalier y dormait. Aussitôt elle se souvint qu'une pieuse nonne lui avait prédit qu'un jeune homme endormi la tirerait un jour d'un danger imminent. Elle fut agréablement surprise à la vue de cette merveille. L'adolescent s'éveilla et prit terre; et le cygne, descendant le fleuve, disparut à leurs yeux. Le chevalier dirigea directement ses pas vers le château, mit un genou en terre devant la Comtesse, et sollicita la faveur de disputer à son ennemi la possession de sa personne. La jeune fille accepta cette offre avec joie, et aussitôt on fixa l'ordalie (jugement de Dieu) dans la vaste cour du château.

L'orgueilleux vassal, tel qu'un sanglier furieux, attaqua le champion étranger. Plus d'un cœur dévoué à cette femme malheureuse battait de crainte devant un combat aussi inégal en apparence; car bien que fort et adroit, le jeune homme semblait ne pouvoir résister à un adversaire aussi formidable par sa taille colossale.

Mais le bon droit l'emporta; atteint profondément par le glaive du vaillant étranger, le scélérat rendit le dernier soupir, et le vainqueur au milieu des applaudissements de la foule se prosterna devant celle qu'il avait si miraculeusement sauvée. Elle le remercia avec des yeux pleins d'amour; mais elle ne se borna pas à récompenser le héros par des paroles. Peu de semaines après, le jeune homme, au comble de ses voeux, mena la Comtesse à l'autel.

Nulle femme aimante ne pouvait être plus heureuse que ne le fut la Comtesse par son époux qui lui rendait sa tendresse avec la fidélité la plus sincère.

Une chose venait troubler la félicité qu'elle goûtait; ni elle, ni personne ne savait, d'où le chevalier était venu, ni quelle pouvait être son origine. Avant qu'il l'épousât, elle avait dû lui promettre solennellement, de ne jamais lui demander, quels étaient et son nom et son pays; car à cette question était liée sa destinée, et il l'avait prévenue que, si elle la lui faisait, ils devraient se séparer pour toujours.

La Comtesse s'était engagée à suivre les désirs de son mari, et des années s'écoulèrent, sans que rien vînt troubler leur bonheur; trois fils qui promettaient d'être un jour l'ornement de la chevalerie, vinrent y mettre le comble.

Mais plus ses fils grandissaient en force et en grâces, plus la mère se tourmentait de ce qu'ils ne pouvaient se réjouir du nom de leur père, du nom d'un père qui devait être sans doute de haute naissance. Un jour donc ne pouvant résister davantage à l'impulsion de son cœur, elle conjura son mari de ne pas sceller plus longtemps à ses fils un nom que le dernier du peuple hérite de son père, et de ne pas attendre qu'un jour ils ne soient traités de bâtards et méprisés comme tels. Qu'en conséquence, il ne pouvait cacher davantage son origine et son nom.

Pâle et saisi d'effroi à ces paroles, il s'écria douloureusement ému: „Malheur à toi, mère infortunée, qu'as-tu fait! tu as détruit par tes paroles notre bonheur à tous! Dès ce moment, je dois te quitter pour ne jamais revenir.“ Il fit aussitôt retentir son cor d'argent du côté des eaux, et le son s'en répandit au loin dans le silence de la nuit. A l'aube du jour, le cygne parut remontant les flots, mais il n'était plus un messager de salut comme autrefois.

Aux yeux de la Comtesse, pétrifiée d'effroi, l'époux, le père monta dans la nacelle, et le cygne puissant retourna aux lieux d'où il était venu. Jamais on ne le revit.

Le chagrin conduisit en peu de temps la femme abandonnée au tombeau; ses fils devinrent les chefs de races distinguées qui toutes, jusqu'à ce jour, portent le cygne dans leurs armoiries.


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