Tout à côté [de l'église de Saint-Pierre-aux-bœufs], on voyait le porche de l'église Sainte-Marine, dans laquelle était la statue d'un moine assis, tenant dans ses bras un enfant emmailloté. Voici la légende qui explique cette singulière sculpture:
Sainte Marine était la fille unique d'un Grec qui, converti, entra dans un monastère. Ne voulant pas quitter son père, elle se vêtit des habits d'homme, et se présenta à l'abbé, qui la reçut sous le nom de frère Marin. Son père étant mort, elle continua sa vie religieuse au milieu des moines.
Les frères du monastère avaient coutume d'aller en ville avec un chariot traîné par des bœufs, pour apporter les provisions nécessaires au couvent. Quand ils devaient rester absents plusieurs jours, ils étaient hébergés chez un certain gentilhomme nommé Pandoche. Sa fille, ayant été séduite par un soldat, mit au monde un enfant. Pressée de questions par son père, elle accusa frère Marin de l'avoir violée. Plainte est portée à l'abbé, qui, après l'avoir fait frapper de verges, chassa ignominieusement le coupable du couvent.
Frère Marin resta pendant trois ans à la porte du monastère, subissant patiemment toutes les injures, et ne vivant que des morceaux de pain qu'on lui jetait chaque jour. L'enfant sevré fut envoyé à l'abbé, qui le bailla à frère Marin. Touché de son repentir et de son humilité, cédant aux prières des autres religieux, il lui rouvrit les portes du couvent, dans lequel il rentra avec l'enfant, ayant pour pénitence de faire les travaux les plus durs et les plus grossiers de la maison.
Frère Marin mourut, et comme il n'avait pas fait une pénitence suffisante, l'abbé ordonna de l'enterrer loin du couvent. Or, comme les frères lavaient le corps du défunt, ils reconnurent que c'était une femme. Alors ils se prosternèrent humblement, et, repentants de ce qu'ils avaient été injustes, ils demandèrent pardon à Dieu, et le firent inhumer solennellement dans le monastère. Plusieurs miracles eurent lieu sur son tombeau.
La fille du gentilhomme qui l'avait si indignement calomnié devint possédée du diable. Elle ne guérit que longtemps après, en venant tous les jours prier, pleurer et gémir sur la tombe de sa victime.
Les Parisiens, émerveillés par cette touchante légende et par les vertus miraculeuses de cette sainte, bâtirent vers le onzième siècle une église qui fut dédiée en son honneur. [...]
C'est dans cette vieille chapelle que, pendant près de trois siècles, il fut d'usage de conduire l'homme et la femme qui avaient failli à l'honneur, pour les marier souvent contre leur gré. Trait curieux qui peint bien les meurs du moyen âge, quelquefois ils étaient amenés par deux sergents en présence du curé. C'est là seulement, et pas ailleurs, que pouvaient se marier les filles-mères, car la bénédiction nuptiale leur était refusée partout. Ce triste privilège se rattache à la légende de sainte Marine si injustement calomniée par une fille qui avait failli. Pour les humilier, l'église n'avait pour elles que des escabeaux de bois grossiers, et le curé leur passait au doigt un anneau de paille (symbole de la fragilité de leurs amours illicites), et faisait ensuite aux nouveaux époux un sermon dans lequel il les engageait à vivre en paix et amitié, pour réparer la faute qu'ils avaient faite, racheter l'honneur de leurs familles et sauver leurs âmes de la damnation éternelle.