Sur une éminence d'où les regards plongent sur un magnifique panorama champêtre, s'élève à trois kilomètres d'Aubencheul la ferme de Montesconvez, c'est-à-dire Mont des Bruyères ou Mont Ecobué. Cette ferme fut environnée au Moyen-Age d'un mur pour en défendre la propriété, et de fortes murailles la mirent à l'abri des brigandages et des incursions ennemies. Elle représentait une petite forteresse dans laquelle on entrait par deux portes surmontées de belles et imposantes arcades flanquées de tours massives qui ont disparu.
Un abbé de Vaucelles, Adam de Waroulieu, y avait élevé une très vaste grange, vers le milieu du XIIIe siècle, Grangiam de Montescouue longè amplissimam. Elle mesurait 97 mètres de longueur sur 35 de largeur; les murs latéraux avaient 2 mètres d'épaisseur, et ceux des pignons en avaient près de 3. On dit que, grâce à l'activité de 300 frères convers, joints aux religieux de Vaucelles, qui étaient au nombre de 140, la grange extraordinaire de Montescouvez fut construite comme par enchantement. L'imagination de nos aïeux, ajoute l'abbé Boniface, ne put tenir contre la promptitude et le grandiose de cet ouvrage, et elle en donna une explication conforme aux idées du temps, explication qui a varié, sans doute, lorsque le mot Escouvé, Ecouvé, Escoufles, Ecobué d'Ecobu terres laissées en friche, d'où on appelle Ecouve, un balai fait de genêts et de bruyères. L'exploitation fut livrée à des fermiers laics. Voici comment ou la raconte :
Un jour le fermier de Montesconvez se promenait à pas lents sur les terres du hameau. Il réfléchissais profondément aux moyen d'obtenir une grange devenue nécessaire; mais que ses ressources ne lui permettaient pas de construire. Bientôt, le démon se présente à lui d'un air sympathique et complaisant. Remarquant de l'inquiétude dans ses traits et dans sa démarche, il l'interroge; puis il lui promet une belle grange pour le lendemain si le favorisé consent à lui donner son âme. Le traité est conclu avec la clause que l'âme cesserait d'être engagée, si la construction n'est pas achevée au premier chant du coq. Aussitôt les plans se tracent, les matériaux se préparent dans les entrailles de la terre et l'épaisseur des forêts.
Vers 10 heures du soir, quand tout repose à la ferme, le démon arrive avec sa troupe infernale; il se met à l'oeuvre, dans un silence qui laisse dormir jusqu'aux animaux gardiens doe la cour. Le travail avance avec une rapidité féerique ; dès deux heures du matin il ne reste plus que les dernières chevilles du faite à placer, le dernier nœud de la couverture à fermer. Dans l'ivresse du succès prochain, les démons frappant les derniers coups de maillets sans les précautions ordinaires. Le bruit éveille la domestique; elle court avertir la fermier du vacarme qu'elle entend et apprend de lui son affreux engagement.
Grâce à l'adresse at à l'habileté de la domestique effrayée de péril qui menace son maître, soudain elle se rend au poulailler et les coqs qu'elle y réveille, se mettent à chanter à l'envi. L'édifice n'était pas achevé. La démon honteux et furieux se met à fuir sans se donner le temps de détruire son ouvrage, témoin de sa défaite. Il laisse enfin au trop heureux fermier une grange si spacieuse qu'on n'y ajoute plus rien, si parfaite qu'on n'y touche plus, si solide qu'on ne pouvait arracher ni un fragment de pierre ni un grain de ciment.
Aujourd'hui il ne reste plus de trace de ces gigantesques constructions. Le mur d'enceinte est tombé sous la pioche, au commencement du XVIIe siècle. La grange saccagés dans le siècle précédent a disparu à son tour. Six belles fermes ont remplacé l'antique grange monumentale.
Ainsi tout finit; tout s'en va en ruines; que dis-je ? Les ruines mêmes périssent; mais la légende reste, et longtemps encore, malgré notre dédain pour ces histoires imaginaires si gracieusement ou si horriblement poétisées par l'imagination crédule de nos ancêtres, on redira les naïves croyances du bon vieux temps. Quel mal à cela ! Le merveilleux, avons-nous dit, est de tous les pays et de toutes les époques. Malheur à nous quand il aura disparu ! Quand ces touchantes légendes qui ont survécu à toutes nos ruines physiques, morales et intellectuelles auront fini leur temps, nos veillées du soir auront perdu tout leur charme, et l'imagination de nos grand'mères, de nos nourrices, de nos agréables conteurs, ne sera plus qu'une plante flétrie, un fossile qu'on exhume et qu'on conserve dans une collection que personne ne visite.