Voici ce que j'ai recueilli aux Tailles, près d'Houffalize. Je ne puis vous dire si cela repose sur un événement réel.

Deux estropiés, un aveugle et un boiteux, s'étaient retirés dans une affreuse caverne située dans la Vallée de Misère. Ils priaient la plus grande partie du jour, et le reste du temps, l'aveugle, portant le boiteux, allait mendier chez quelques fermiers des environs. Un jour d'hiver, en rentrant dans leur sombre demeure, le boiteux vit l'empreinte des loups laissée sur la neige. L'aveugle déposa son ami dans la caverne et sortit pour emplir de neige sa marmite; mais les loups guettaient leur proie : ils se précipitèrent sur l'infortuné qui poussa un cri terrible. Le boiteux rampa jusqu'à la porte et parvint à forcer les loups d'abandonner leur victime qui put se traîner jusqu'à la litière commune. Le boiteux avait été plus grièvement mordu que l'aveugle; son sang coulait avec abondance et le jour suivant il mourut. L'aveugle, désespérant de voir venir quelqu'un dans cette sombre vallée, objet de terreur pour les habitants d'alentour, se coucha près de son ami mort, et, dans cette horrible position, il attendit sa dernière heure. Un fermier, ne recevant plus la visite de ces ermites estropiés, se rendit à leur caverne et les trouva étendus tous deux; le sang, le désordre de la demeure, la neige rougie au dehors, lui firent comprendre ce qui s'était passé. Afin que les loups ne dévorassent pas leurs victimes, il fit murer la porte, après qu'un prêtre eut béni cette tombe; puis on planta en face une croix faite de la béquille du boiteux et du bâton de l'aveugle.