La légende de Saint Eloi, maréchal ferrant [Limoges (Haute-Vienne)]

Publié le 21 novembre 2022 Thématiques: Animal , Blessure , Cheval , Forgeron , Guérison , Jésus , Maréchal ferrant , Ruse , Saint Eloi , Saint | Sainte , Vanité ,

Saint Eloi, maréchal ferrant
Saint Eloi, maréchal ferrant. Source Hans Leu l'Ancien, Public domain, via Wikimedia Commons
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Source: de Ponthieu Amédée / Légendes du vieux Paris (1867) (4 minutes)
Lieu: Atelier de Saint Eloi / Limoges / Haute-Vienne / France

Saint Éloi naquit en 588, en pays limousin, au village de Catala, à deux lieues au septentrion de Limoges. Il sembla prédestiné dès le sein de sa mère, car, si nous en croyons une pieuse tradition, pendant qu'elle était en travail d'enfant, elle vit en songe un aigle voltiger autour de sa couche et fondre sur elle comme pour lui pronostiquer quelque chose d'extraordinaire. Elle devina alors que son enfant était choisi de Dieu pour accomplir de grandes choses, et le nomma Eligius, Eloi. (Élu de Dieu.)

Tout jeune, son père remarqua sa grande habileté de main pour se fabriquer des joujoux, même avec les morceaux de fer et de plomb qu'il ramassait devant les l'orges. Il le fit entrer comme apprenti chez Abbon, le plus célèbre des orfèvres de la ville. Sa facilité pour apprendre, son adresse, sa docilité, en firent bien vite l'apprenti de prédilection de son maître.

Pas assez riche pour ouvrir un atelier d'orfévrerie, il se fit maréchal-ferrant à Limoges, et c'est là, en 610, c'est-à-dire à l'âge de vingt-deux ans, que l'on place la fameuse aventure dont il fut le héros, et qui figure sur toutes les bannières des corporations des maréchauxferrants de plusieurs pays : saint Éloi est représenté brisant son enseigne.

Il était donc simple maréchal-ferrant à Limoges, et d'une grande réputation ; car son habileté était telle qu'en trois chaudes il forgeait un fer à cheval.

Tous les cavaliers, pèlerins et coinmerçants qui traversaient la ville, s'arrêtaient devant sa boutique pour faire réparer les accidents de leur monture, et on était certain d'aller un bon bout de chemin avec les fers posés par la main habile du célèbre forgeron.

La vanité lui monta à la tête et l'aveugla tellement qu'il fit faire une enseigne sur laquelle il était représenté en forgeron, avec cette légende : « Éloi, maître sur maître, maître sur tous. »

Cette orgueilleuse enseigne blessa l'amour-propre de ses concurrents, et, de toutes parts, s'éleva un concert de réclamations et de cris qui monta jusqu'au paradis.

Le bon Dieu, entendant un tel tapage, mit le nez à la fenêtre de son beau ciel bleu pour voir s'il n'y avait pas quelque révolution dans le pays des Francs. Ses regards tombèrent justement sur Limoges et virent la fameuse enseigné.

L'orgueil est le plus grand des péchés capitaux, c'est lui qui fit d'un ange 'un diable, et par conséquent un de ceux qui déplaisent le plus à Dieu. Le Père éternel fut grandement courroucé.

Oh ! oh! s'écria-t-il, qu'elle est donc la créature assez hardie pour se prétendre plus habile que moi ? Il faut une punition exemplaire pour châtier pareille outrecuidance.

Et il se mit à réfléchir.

Comme il méditait, ne trouvant pas assez grave le châtiment qu'il voulait infliger, Jésus-Christ vint et plaida en faveur d'Éloi.

Il obtint un délai et s'engagea, dans l'intervalle, à corriger le coupable et à le ramener au bien pour toujours.

Jésus-Christ monta sur deux rayons de soleil, se laissa glisser à terre, et, comme un voyageur qui vient de faire une longue course, arriva aux portes de Limoges.

Il alla droit à la boutique de l'orgueilleux forgeron, et s'offrit comme compagnon, en disant qu'il savait forger et ferrer mieux que personne, et en une seule chaude, ce qui était la chose la plus habile.

Éloi ent l'air d'en douter.

Alors, sur un signe du nouveau venu, Oculi souffla, et, en un clin d'œil, il fit un fer si merveilleux comme travail et perfection, qu'Eloi n'y vit que du feu.

Il prit le fer, l'examina, le tourna et retourna dans tous les sens, espérant y trouver un défaut. Il était irréprochable.

Maintenant, dit Eloi, ce n'est pas tont, de quelle manière le mettras-tu au cheval ? Rien de plus facile. Il sortit, coupa une des quatre jambes du cheval qui était là, la ferra tranquillement dans la boutique, et la remit, sans que le sang coulât, ni que l'animal bronchât.

Eloi, émerveillé, embaucha de suite un si bon ouvrier, et l'envoya le lendemain en tournée dans les villages environnants.

Éloi, plein de confiance en lui-même, voulut, en l'absence de son apprenti, ferrer selon la nouvelle manière le cheval d'un cavalier tout bardé de fer, qui venait d'arriver à la porte. Il coupa une jambe, et le sang coula en telle abondance que l'animal tomba inanimé. Le cavalier, peu accoutumé à ce procédé, se fàcha. Éloi essaya de remettre le pied, mais inutilement. Dans son désespoir, il allait se frapper la poitrine avec le couteau qu'il tenait encore à la main, quand, heureusement pour lui, Jésus rentra et lui dit : Que fais-tu, maître, tu as l'air tout désespéré ? Avec un geste de douleur, Éloi lui montra la triste besogne qu'il venait de faire.

Alors, Jésus prit le pied, l'approcha de la jambe, et ressuscita l'animal, qui hennit de bonheur pour annoncer son retour à la vie.

Éloi, confus devant une telle supériorité, rentra dans sa boutique, avec son plus gros marteau brisa son enseigne, et s'inclina devant son nouvel apprenti, en lui disant humblement : C'est toi qui es maître et moi qui suis le compagnon. Jésus, le front ceint d'une auréole dont l'éclat éclipsa le feu de la forge, lui dit alors :  Heureux celui qui s'humilie, il sera élevé ; je te pardonne, reste maître sur maître, et souviens-toi que c'est moi seul qui suis le maître sur tous.

Il monta en croupe derrière le cavalier et disparut avec lui. Ce cavalier était saint Georges ; ils montèrent au ciel, et Dieu pardonna. Car Eloi depuis fut humble entre tous et vécut en prud'homme.


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