La montagne des Voirons se prolonge vers le nord par une série de déclivités proportionnelles en quelque sorte, et finit par se confondre avec la plaine. Ces collines ressemblent à des vagues qui se succèdent et viennent expirer sur les galets.
Au pied d’une de ces collines on aperçoit les ruines d’une maison enveloppée dans un tapis de lierre et dont les quatre murs délabrés unissent leurs derniers efforts pour soutenir un méchant toit encore plus délabré que les murailles. Sur ce toit on distingue deux petites lucarnes s’ouvrant au midi. Une large brèche qui, sans doute, était jadis une porte, donne accès à l’intérieur. L’escalier qui conduisait à l’étage supérieur n’existe plus, et les ronces et les épines croissent en toute liberté dans cette masure.
Si vous êtes curieux, si vous aimez les apparitions extraordinaires, si votre imagination se complait dans le spectacle des événements mystérieux, allez au pied de la colline, cachez vous derrière un arbre en attendant minuit, et quand l’heure sonnera aux clochers des villages voisins, vous verrez sortir par la brèche une élégante mule blanche. Elle frappera de son pied le seuil de la maison comme pour appeler quelqu’un, et aussitôt vous verrez un enfant paraitre à la lucarne. L’enfant se hissera sur le bord de la fenêtre, il marchera d’un pas assuré jusqu’au bord du toit, s’élancera dans l’espace et tombera tout boité sur le dos de la mule. Celle-ci partira avec son cavalier dans une direction inconnue. Suivez-les des yeux, si vous pouvez; elle ne tardera pas à disparaître en vous laissant saisi d’étonnement.
Voilà ce qu’on raconte dans la contrée. Un poète du crû, Joseph Thorens, a publié sur ce sujet une pièce de vers qu’on me fit apprendre par cour dans mon enfance. Mais ce qu’on se garderait bien de vous dire, c’est que cette maison n’est pas si mystérieuse que sa légende. Elle servit de refuge à un Espagnol qui s’était aventuré jusque là. Il avait un fils, un bel enfant de douze ans, qui parcourait la contrée sur une mule blanche. Un matin, l’enfant, la mule et l’Espagnol, tous les hôtes de la maison, avaient disparu. On trouva le lendemain le cadavre de l’infant derrière un buisson, celui du père un peu plus loin, et l’on soupçonna que l’assassin s’était enfui au galop de la monture de ses victimes. Mais, entêtée comme on l’est dans sa famille, la mule est revenue à son écurie. De son pied elle a frappé le sol pour se faire entendre à son jeune maitre; l’enfant a triomphé du sommeil de la mort, et quand sonne minuit il va se promener sur sa mule pour secouer l’engourdissement du sépulcre.