L'ascension de l'église de Caragoudes [Caragoudes (Haute-Garonne)]

Publié le 22 avril 2024 Thématiques: Eglise , Humour , Peintre , Peinture , Prêtre | Curé ,

Eglise Saint-Loup de Caragoudes
Eglise Saint-Loup de Caragoudes. Source Jack ma, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Chevalier, Frédéric / La Tradition (1888) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Eglise Saint-Loup / Caragoudes / Haute-Garonne / France

Fiers de leur nombre, glorieux de la situation que leur cité occupe sous le soleil de la plus Haute-Garonne, les trois cent soixante-seize habitants de Caragoude considéraient avec raison le clocher de leur église comme le pivot de l'univers.

A l'instant où commence ce récit, pour que l'éblouissement fut complet, il ne manquait qu'une étincelle à la splendeur de Caragoude. Et le flamboiement de cet atome de lumière était attendu dans les halètements de l'anxiété.

Toutes les gloires une à une s'étaient amoncelées sur la radieuse paroisse. Toutes, sauf une seule : la gloire artistique. Estimant que cette lacune serait comblée dès qu'une merveille picturale ornerait le maître-autel de l'église, un fidèle généreux venait de faire à la fabrique un legs de vingt-sept francs quarante-cinq centimes.

Le chef-d'œuvre devait être mis en place lors de la fête de l'Ascension; les marguilliers avaient successivement adressé leur commande aux maitres les plus illustres; mais les maîtres illustres, bien qu'attachés aux théories les plus opposées et se montrant sans cesse divisés d'opinion, s'étaient cette fois accordés sur un point: avec un ensemble parfait, ils avaient décliné l'honneur de travailler pour la paroisse de Caragoude.

De refus en refus, on était arrivé à l'avant-veille de la fête choisie pour faire de l'église du lieu l'égale de la chapelle Sixtine. Aucun tableau n'était annoncé. Et les marguilliers de Caragoude n'auraient jamais consenti à s'adresser à un artiste de second ordre qui, même en s'appliquant de son mieux, leur eût fourni une toile comme on en peut voir dans n'importe quelle cathédrale.

La situation devenait désespérée. Un sauveur se présenta.

C'était le peintre de la localité. Il s'exprima en ces termes :
« Monsieur le curé, messieurs de la fabrique,
« La population entière s'irrite de vos lenteurs. Vous êtes perdus si un homme de génie ne vient à votre secours. Me voici. – Doutez vous de ma capacité? Dût ma modestie en souffrir, vous n'avez qu'à descendre sur la place du marché et à contempler deux de mes créations récentes. La foule enthousiaste acclame ces œuvres que j'ai parachevées ce matin même. Ce sont l'enseigne de Cadillou le chapelier et la boutique de Tribouillac le bottier. J'ai peint ici des bottes, des souliers, des galoches, là des chapeaux, des casquettes, des bérets qui excitent chez les connaisseurs un véritable délire d'émerveillement. Ces productions vous prouveront que si je n'ai point fait de figures humaines, je n'en suis pas moins apte, et au-delà à exécuter le trésor pictural que réclame notre pays. Que vous faut-il ? Une Ascension. Rien de plus simple. Confiez-moi la commande et ce sera la gloire éternelle, pour moi, pour vous et pour la contrée qui a l'honneur de m'avoir vu venir au jour. »

L'artiste ne s'illusionnait point sur son talent. Il usa d'un procédé qui rappelle quelque peu l'artifice de Timanthe exprimant la douleur d'Agamemnon en lui voilant le visage. En moins de deux jours, il termina son Ascension. Sur la toile, une couche de bleu le plus fin exprima à s'y méprendre l'immensité du ciel. Puis en bas, rasant le cadre, des coiffures de tous les modèles firent comprendre qu'une foule de peuple se trouvait assemblée, tandis qu'en haut une paire de bottes, à demi engagée dans la bordure, évoquait nettement à l'esprit du spectateur l'image radieuse du fils de Dieu s'élevant vers l'empyrée.


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