La légende des amants d'Hammam Meskhoutine [Hammam Debagh / Hammam Debagh / Algeria]

Publié le 20 avril 2024 Thématiques: Amour , Amour impossible , Brigand , Cascade , Frère et sœur , Impiété , Légende musulmane , Mariage , Montagne , Mort , Orage , Origine , Origine d'une roche , Pierre | Roche , Soufre , Transformation , Transformation en pierre ,

Cascade de Hammam Meskhoutine
Cascade de Hammam Meskhoutine. Source Reda Kerbouche, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Anonyme / La Tradition (1888) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cascade de Hammam Meskhoutine / Hammam Debagh / Hammam Debagh / Algeria

I

Le ciel n'avait jamais été plus admirable :
La nuit, dans sa clarté sereine, incomparable,
Laissait voir, au-delà des étoiles en feu,
Un autre firmament plus immense et plus bleu.
La montagne sévère et droite sous la lune,
Traçait sur le rivage une ombre longue et brune
Qu'on croyait un géant drapé dans son manteau,
Ayant le pied sur terre et le torse dans l'eau ;
Car la mer transparente, immobile, azurée,
Comme un miroir d'acier gardait, transfigurée,
L'image de la rive et des monts et des bois,
Que le flot faisait vivre et respirer parfois.
Sous les chênes touffus et bas, de chauds effluves,
Qui paraissaient sortir de quelques vastes cuves,
Rendaient l'air tiède et plein de parfums pénétrants
Qui coulaient doucement, impalpables torrents.
Au sommet le plus haut, creusant un large gouffre,
Se répandait sans bruit la cascade de soufre ;
Sur la nappe dorée, épaisse, un feu follet,
Tremblant et fugitif, souvent étincelait,
Et les rochers vêtus de cette robe jaune
Semblaient des rois ayant au front une couronne !

Tout se tait au sol africain :
L'Arabe est calme sous sa tente;
Il ignore encore l'attente
De l'ennemi, le glaive en main,
Qui rendra sa nuit haletante.

Nul visage blanc, des déserts
N'a contemplé la solitude;
Nulle autre voix que sa voix rude
N'a troublé le calme des airs
Ni sa fière mansuétude.

Il est le maître incontesté
Il est le roi de cette terre
Où seul, nomade volontaire,
Il promène sa liberté
Et son courage héréditaire.

Nul ne partage sa moisson,
Ne lui dispute ses ressources.
Nul ne fait dévier ses courses
Ni taire sa lente chanson; Nul ne boit à l'eau de ses sources

Nul.... hormis le grand lion roux,
Comme lui rebelle au servage,
Comme lui guerrier et sauvage
Digne d'affronter son courroux
Quand il descend vers le rivage.

II

Deux formes ont gravi le sentier escarpé
Qui, courant sur le flanc de la montagne noire,
Par la lune estompé,
Semble un ruban de moire Dans le roc découpé.

Lui, c'était un Arabe à la figure mâle
Noble, grand et nerveux, le regard velouté ;
N'ayant que deux amours ardents sous son front pâle :
Sa rêveuse Fathma, son cheval indompté.
Elle, c'était la femme, étrange, enchanteresse,
A l'œil vague et profond, par l'idéal rempli,
Laissant sur son cou nu flotter sa brune tresse,
Et n'ayant dans son cœur qu'un seul amour, Ali!
L'un à l'autre appuyés ils montaient en silence,
D'un rêve inachevé suivant à deux le cours ;
Et leur âme éprouvait presque avec violence
L'ivresse d'être seuls et de s'aimer toujours.
Quand ils furent au faîte, Ali dit : « Mon idole,
« Vivons dans notre extase et n'en sortons jamais.
«Notre amour s'affaiblit traduit par la parole...
Fathma dit: « J'ignorais qu'à ce point je t'aimais!»

III
La lune en sa majesté blanche
Quitte l'azur clair et se penche
Sur l'horizon diamanté :
Les ombres croissent sur les sables,
Plus grandes, plus méconnaissables
Sous l'oblique et froide clarté.

La nuit, comme un fleuve qui coule,
Envahit les cieux et déroule
Sur la terre ses flots épais;
C'est comme une mer qui submerge
La montagne, le bois, la berge
Dans le silence et dans la paix.

Plus de murmure, de bruits d'aile,
Plus de voix qui chante ou s'appelle,
Plus de bêlement de troupeaux,
Plus de cri rauque en la tanière ;
Sur la nature toute entière
S'étend un bienfaisant repos.

Pourtant la source jaunissante,
Toujours féconde et jaillissante,
Verse ses ondes sans effort:
Et le soufre augmentant sans trêve
Forme au loin un lac qui s'élève
Couvrant tout d'un linceul de mort.

Ali près de Fathma, tandis que l'heure passe,
Est resté. Tous les deux l'œil perdu dans l'espace,
Une main dans la main, le cœur contre le cœur,
Loin de terre emportés dans leur rêve vainqueur,
Ils n'ont plus rien d'humain et semblent des statues,
Du sable du désert par le temps revêtues.

Sur leur corps immobile un vent brûlant et lourd
Dépose lentement, épousant leur contour,
La fatale poussière, impalpable, soufrée,
Dont la vapeur avec la mort est respirée.
Insensibles, ils n'ont aucun tressaillement;
Et toujours enlacés dans leur embrassement,
Ils n'ont pas su l'instant, minute solennelle,
Où l'extase d'un soir devenait éternelle ?

IV

Six mille ans ont passé sur les monts toujours verts
Où le soufre coulait de leurs flancs entrouverts.
Et quand les voyageurs interrogent leurs guides
Pour connaitre le nom de ces deux pyramides
Semblant un couple humain vers la chute du jour,

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Source: Certeux A. / Contributions au folk-lore des Arabes: l'Algérie traditionnelle, légendes ... (1884) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cascade de Hammam Meskhoutine / Hammam Debagh / Hammam Debagh / Algeria

Un riche Arabe, Kaddour, n'avait pas d'enfants. Après maints pélerinages, maintes visites aux saints marabouts, il obtint enfin d'avoir des héritiers et sa femme mit au monde un garçon qui fut nommé Hamed, et une fille qu'on appela Lella-Amna. Seulement les deux enfants se ressemblaient si fort qu'il eût été presque impossible de les distinguer, n'eût été la dissemblance de leurs vêtements. Les deux jeunes gens grandirent; Hamed trouva sa sœur si belle, Lella-Amna trouva son frère si beau, que l'affection qui les unissait se changea en l'amour le plus violent.

Kaddour pensait que cet amour était tout simplement une extrême affection fraternelle. Aussi quelle fut sa surprise quand, disant un jour à son fils:
« Hamed, il faut songer à te marier ! » Hamed lui répondit :
« Mon père, je veux épouser Lella-Amna, ma sœur ! »

Le malheureux Kaddour, épouvanté d'une telle résolution, ne crut pouvoir mieux faire que de chasser son fils du douar.

Hamed, proscrit, s'en alla bien loin, rassembla des gens sans aveu, prêts à tout, et forma une bande de brígands qui ne tardèrent pas à devenir la terreur de la contrée. Hamed espérait trouver la mort dans les luttes qu'il lui fallait soutenir contre les Arabes des villages ou des caravanes qu'il attaquait, mais toujours la mort l'épargna, trouvant sans doute que le destin du jeune homme n'était pas accompli.

N'y tenant plus enfin, un jour Hamed le brigand prit deux chameaux, monta sur l'un et s'en alla roder aux environs de la demeure de son père. La nuit venue, il s'en approcha et appela sa bien-aimée.
« Yamna | Yamna! viens avec Hamed ton fiancé. »
Par trois fois, Hamed appela sa sœur, et, au troisième appel, Lella Amna répondit:
« Mon frère, mon fiancé, me voici ! »

Lella Amna monta sur le chameau libre, et, rapides comme le vent, les animaux dociles conduisirent au repaire des bandits les deux fiancés sacriléges.

Le matin venu, le vieux Kaddour chercha sa fille et s'aperçut qu'elle s'était enfuie avec son frère.

« Maudits ! Maudits, soyez-vous! s'écria-t-il. Que jamais les saints marabouts n'intercèdent pour vous ! Que jamais vos corps abjects ne reposent dans la terre ! »

Et le malheureux père se livra à la plus profonde douleur.

Ce même matin, le brigand Hamed avait réuni tous ses compagnons.

« Voici Lella Amna, ma fiancée. Que nos noces soient célébrées et qu'un superbe festin nous réunisse ! »

Le mariage des fiancés fut célébré et un magnifique festin fut servi aux mariés et aux bandits.

« You ! you! you! criaient joyeusement les convives. Qu'on serve du vin ! nous nous moquons de la loi du prophète ! » cria Hamed.

« You! you! you! acclamèrent les brigands. »

Au moment où les coupes circulaient, le ciel se couvrit de gros nuages noirs, la tempête se déchaîna, la pluie tomba en torrents inondant le festin, la grêle crépita, le tonnerre roula dans le ciel, et, prodige étonnant, les danseuses, les brigands, Hamed et Lella Amna, les sacriléges, versant des larmes brûlantes, furent transformés en ces blocs sulfureux qu'aujourd'hui montre l'Arabe avec terreur au sommet d'Hammam-Meskoutine, le Bain des Maudits.

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Source: Certeux A. / Contributions au folk-lore des Arabes: l'Algérie traditionnelle, légendes ... (1884) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cascade de Hammam Meskhoutine / Hammam Debagh / Hammam Debagh / Algeria

Un riche Arabe, Kaddour, n'avait pas d'enfants. Après maints pèlerinages, maintes visites aux saints marabouts, il obtint enfin d'avoir des héritiers et sa femme mit au monde un garçon qui fut nommé Hamed, et une fille qu'on appela Lella-Amna. Seulement les deux enfants se ressemblaient si fort qu'il eût été presque impossible de les distinguer, n'eût été la dissemblance de leurs vêtements. Les deux jeunes gens grandirent; Hamed trouva sa sœur si belle, Lella-Amna trouva son frère si beau, que l'affection qui les unissait se changea en l'amour le plus violent.

Kaddour pensait que cet amour était tout simplement une extrême affection fraternelle. Aussi quelle fut sa surprise quand, disant un jour à son fils:
« Hamed, il faut songer à te marier ! » Hamed lui répondit :
« Mon père, je veux épouser Lella-Amna, ma sœur ! »

Le malheureux Kaddour, épouvanté d'une telle résolution, ne crut pouvoir mieux faire que de chasser son fils du douar.

Hamed, proscrit, s'en alla bien loin, rassembla des gens sans aveu, prêts à tout, et forma une bande de brigands qui ne tardèrent pas à devenir la terreur de la contrée. Hamed espérait trouver la mort dans les luttes qu'il lui fallait soutenir contre les Arabes des villages ou des caravanes qu'il attaquait, mais toujours la mort l'épargna, trouvant sans doute que le destin du jeune homme n'était pas accompli.

N'y tenant plus enfin, un jour Hamed le brigand prit deux chameaux, monta sur l'un et s'en alla roder aux environs de la demeure de son père. La nuit venue, il s'en approcha et appela sa bien-aimée.
« Yamna | Yamna! viens avec Hamed ton fiancé. »
Par trois fois, Hamed appela sa sœur, et, au troisième appel, Lella Amna répondit:
« Mon frère, mon fiancé, me voici ! »

Lella Amna monta sur le chameau libre, et, rapides comme le vent, les animaux dociles conduisirent au repaire des bandits les deux fiancés sacrilèges.

Le matin venu, le vieux Kaddour chercha sa fille et s'aperçut qu'elle s'était enfuie avec son frère.

« Maudits ! Maudits, soyez-vous! s'écria-t-il. Que jamais les saints marabouts n'intercèdent pour vous ! Que jamais vos corps abjects ne reposent dans la terre ! »

Et le malheureux père se livra à la plus profonde douleur.

Ce même matin, le brigand Hamed avait réuni tous ses compagnons.

« Voici Lella Amna, ma fiancée. Que nos noces soient célébrées et qu'un superbe festin nous réunisse ! »

Le mariage des fiancés fut célébré et un magnifique festin fut servi aux mariés et aux bandits.

« You ! you! you! criaient joyeusement les convives. Qu'on serve du vin ! nous nous moquons de la loi du prophète ! » cria Hamed.

« You! you! you! acclamèrent les brigands. »

Au moment où les coupes circulaient, le ciel se couvrit de gros nuages noirs, la tempête se déchaîna, la pluie tomba en torrents inondant le festin, la grêle crépita, le tonnerre roula dans le ciel, et, prodige étonnant, les danseuses, les brigands, Hamed et Lella Amna, les sacriléges, versant des larmes brûlantes, furent transformés en ces blocs sulfureux qu'aujourd'hui montre l'Arabe avec terreur au sommet d'Hammam-Meskoutine, le Bain des Maudits.


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