Le cheval du Diable de la foire de Landerneau [Daoulas (Finistère)]

Publié le 5 juillet 2024 Thématiques: Âme , Animal , Animal qui parle , Cheval , Diable , Nuit , Transformation en animal ,

Paysan et homme à cheval
Paysan et homme à cheval. Source Dall-E 3
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Source: Le Braz, Anatole / La légende de la mort en Basse-Bretagne: croyances, traditions et usages des Bretons armoricains (1893) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Une route à mi chemin entre Landernau et Le Faou / Daoulas / Finistère / France

Jean-René Cuzon revenait une nuit de la foire de Landerneau. La route est longue, de Landerneau au Faou. Jean-René sifflotait, en marchant, pour se donner des jambes, et aussi pour se tenir compagnie.

– Tu siffles à merveille! dit tout à coup une voix derrière lui.
Jean-René se détourna et aperçut un homme à cheval qui venait tranquillement, au pas de sa bête.
– Où vas-tu? demanda l'homme, quand il eut rejoint Jean-René.
– Au Faou.
– Je vais aussi de ce côté. Nous allons faire route ensemble.

Les voilà de cheminer côte à côte.
– Votre cheval ne fait pas grand bruit, observa Jean-René. On dirait qu'il n'est pas ferré.
– C'est qu'il est encore jeune, répondit l'inconnu, et qu'il a le sabot tendre.
La conversation continua, sur un ton amical. Ils causèrent des gens du Faou. L'homme semblait connaître tout le monde de la ville et des environs, depuis le plus riche jusqu'au plus pauvre. Il racontait sur la vie de chacun des anecdotes fort drôles. « Un tel est un ivrogne...; un tel, un ladre;... tel autre bat sa femme...; celui-ci est cornard...; celui-là jaloux. » Et à chaque nom qu'il prononçait, il citait une histoire pour prouver son dire. C'était un amusant compagnon. Jean-René était aux anges de l'avoir rencontré.

Tout en jasant, ils arrivèrent à l'entrée d'une avenue, sur la gauche du chemin.
– J'ai besoin de m'arrêter ici, dit le cavalier. J'ai une commission à faire dans le manoir qui est là-bas derrière les arbres. Aurais-tu la complaisance de tenir la bride de mon cheval pendant ce temps-là? Dans quelques minutes, je serai de retour.
– Volontiers. Mais je crains bien que vous ne fassiez un voyage inutile. A pareille heure, il ne doit y avoir personne sur pied au manoir.
– Oh! si. On compte sur moi.
– Allez alors.
– Prends garde que la bête ne t'échappe.
– N'ayez pas peur. J'en ai maintenu de plus fringantes.

Le cavalier sauta à terre, prit un sac qui était amarré à la selle, et s'engagea dans l'avenue.
Jean-René, lui, passa la bride à son bras et, pour plus de précaution, empoigna solidement la crinière du cheval.
– Chrétien! chrétien! soupira la bête, tu me fais mal. Par pitié, ne tire pas tant sur mes crins!
Jean-René eut un cri de stupeur.
– Comment! les chevaux se mettent à parler maintenant!
– Je suis cheval aujourd'hui !.. Mais, de mon vivant j'étais une femme. Regarde mes pieds et tu verras.

Jean-René regarda, et vit en effet que la bête avait des pieds humains, de jolis pieds fins et menus comme ceux d'une femme.
–Jésus, mon Dieu! fit-il, quelle espèce d'homme est-ce donc qui te monte?
– Ce n'est pas un homme, c'est le diable!
– Oh!
– Il s'est arrêté ici, pour aller quérir au manoir l'âme d'une jeune fille qui vient de trépasser. Il la met, en ce moment, dans le sac que tu l'as vu prendre et tout à l'heure il l'emportera en enfer. Tu peux t'attendre à semblable destin, si tu n'as déguerpi avant qu'il nous rejoigne...

Jean-René n'en entendit pas davantage. Il avait déjà pris sa course vers le Faou où il arriva hors d'haleine. Il fut trois jours sans pouvoir parler. Ce n'est que le quatrième soir qu'il trouva la force de raconter aux siens son aventure.

(Conté par Nanna Gostalen. Le Faou, 1886.)


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