Au commencement est du Djebel Bou Kahil, existe la kheloua appelée mimouna, profonde caverne, suivant les Arabes, ayant sa sortie dans un des derniers pics ouest de la montagne. Les compagnons du Prophète, défaits par les Romains à Ta'dmit, la creusèrent pour échapper aux vainqueurs. Depuis cette époque, cette caverne est habitée par des marabouts. Chaque année, les Khouan y viennent sacrifier des moutons, des boucs, etc... Ils y restent trois jours et trois nuits à prier; chacun d'eux apporte sa natte et la laisse en partant.
Les saints habitants de cette caverne jouissent de la faculté de changer de forme; ils préfèrent ordinairement celle du mouflon. Les femelles leur prodiguent leur lait pour étancher leur soif, et, pour apaiser leur faim, les mâles viennent d'eux-mêmes tendre la gorge à leurs couteaux. Aussi les chasseurs ont-ils bien soin de ne jamais tirer sur les mouflons qui paissent autour de la caverne dans la crainte où ils sont de tuer ou de blesser un des amis de Dieu. Ils ont toujours du reste à la mémoire le malheur, qui arriva un jour à un certain Kord-el-Oued, des O. Rahma.
Ce chasseur était venu s'embusquer à l'entrée de la caverne. Tout à coup il entendit un murmure extraordinaire autour de lui; pensant qu'il était produit par le vent s'engouffrant dans l'abîme, il ne s'en inquiéta pas. Quelques moments plus tard, un superbe fechtal apparaît devant lui, s'arrête, fixe des yeux étranges sur les siens comme pour lui demander par quel droit téméraire il veut lui empêcher l'accès de sa demeure. Kord-el-Oued, tout entier au plaisir de faire une belle chasse, ne se donne pas la peine de comprendre ce muet langage, il ajuste avec soin sans que l'animal ait fait un pas pour fuir ou pour avancer; son fusil part avec une explosion terrible que multiplient encore les échos de la caverne, mais, ô prodige ! aussitôt après la détonation, le chasseur reçoit à la poitrine un choc violent comme celui d'une pierre lancée avec force; en même temps, le bois de son fusil se brise en cent morceaux, et le canon se partage dans toute sa longueur. Le chasseur tombe sans connaissance et il reste trois jours et trois nuits dans un profond sommeil. A son réveil, il porte la main à sa poitrine et la retire pleine de sang; à ses pieds se trouve la balle aplatie; au lieu d'aller frapper l'animal elle s'était retournée contre lui.
« Je n'étais pas mort, racontait-il; mais depuis ce jour, lorsque je prends mon fusil, je ressens à la poitrine une douleur pareille qui ne dure qu'un instant, il est vrai, mais qui me rappelle l'action criminelle que j'ai failli commettre. Et, quand le gibier est à ma portée, l'arme tremble entre mes mains; la nuit je rêve de ce mouflon, je le vois toujours devant moi, et le jour, quand je chasse, il me suit partout, marche avec moi, s'arrête quand je m’arrête et ne cesse de me regarder du même regard de reproche. Il en est toujours de même quand je vais faire une action contre le bien. >>
C'est aussi dans cette caverne que Lalla Khodra, fille de Sidi Ameur Bou Serra, resta onze ans à méditer sur les paroles de la religion. Les marabouts, sous la forme de mouflons, lui apportaient chaque jour sa nourriture.
(Recueilli par M. Arnaud, interprète de l'armée, en 1862.)