Il y a longtemps que Jean Thiébaud, de Cubrial, n'est plus de ce monde. On raconte qu'un jour d'hiver, il avait dû se rendre à Baume, à pied, pour une affaire urgente. En partant de chez lui, le matin, il avait dit à sa femme et à ses enfants qu'il rentrerait de bonne heure. Cependant, il se faisait tard, la nuit était venue, le vent soufflait au dehors, il neigeait, et Jean Thiébaud n'était pas de retour...
Remplie d'inquiétude, la femme fait mettre à genoux les enfants et tous prient avec ardeur...
Il était minuit; la neige tombait toujours et Jean Thiébaud n'était pas revenu...
Vaincus par le sommeil, les enfants s'étaient endormis, après avoir prié et pleuré longtemps avec leur mère. La pauvre femme, qui veillait seule dans l'anxiété la plus cruelle, ouvre doucement son armoire, y prend un cierge bénit, l'allume ainsi que la tronche de Noël, qui d'une année à l'autre ne quitte pas l'angle du foyer, où on la rallume seulement quand on craint quelque fléau ou quelque grand malheur; et, agenouillée devant une sainte image, elle fait vœu d'ériger une chapelle à la sainte Vierge, si Jean revient sain et sauf. Puis elle redit son chapelet, peut-être pour la centième fois.
Jean Thiébaud, qui n'avait pu terminer son affaire à Baume que bien tard, et qui s'était peut-être oublié au cabaret ou au jeu de quilles, n'arriva pas au col de la Boussenotte avant la nuit. La neige tombait à gros flocons et le sol en était couvert d'un pied en pleine chute. Arrivé aux Mondrevaux, sorte de désert qui s'étend d'Autechaux à Mésandans. Jean Thiébaud ne tarda pas à s'égarer. Il s'aperçoit qu'il a quitté la route et il marche à travers champs, au milieu d'un épais tourbillon de vent et de neige, sans savoir où il va. Il erre: ainsi pendant de longues heures, ayant parfois de la neige jusqu'à la ceinture. Enfin les forces viennent à lui manquer. Il pense tristement à sa femme et à ses enfants qu'il ne verra plus et recommande son âme à Dieu, à la Vierge et à tous les saints du paradis.
Il allait se coucher pour mourir au pied d'un arbre solitaire, lorsqu'il croit apercevoir à travers le tourbillon qui l'enveloppait toujours, une femme portant dans ses bras un petit enfant et lui faisant signe de se diriger de son côté. Il recueille alors un dernier reste de courage et ne tarde pas à arriver au-dessus de Mésandans où il retrouve sa route. Les forces lui sont revenues avec cette pensée qu'il ne périra pas et qu'il marche sous la protection de la reine du ciel. Il rentre enfin chez lui, où les siens, qui n'espéraient plus le revoir, le reçoivent avec effusion. Sa femme lui fait part du vœu qu'elle a formé. Lui-même raconte son aventure aux Mondrevaux et l'apparition de la Vierge qu'il a eue dans sa détresse.
Cette famille pieuse et reconnaissante, qui compte encore à présent un grand nombre de représentants dans le pays, fit construire à l'entrée du village de Cubrial un oratoire où fut placée une blanche statue, haute d'un mètre environ, représentant la Vierge assise et portant dans ses bras l'enfant Jésus.
Cet oratoire rustique subsista jusqu'à la construction de l'église de Cubrial, en 1841, époque à laquelle la madone, qui a été de tous temps l'objet d'une vénération singulière dans la contrée, fut placée dans une petite chapelle latérale de l'église, au bas de la nef gauche, où on la voit encore et où la piété des fidèles se plaît souvent à l'orner de cierges et de fleurs.
Chaque année, le lendemain du tirage au sort, les conscrits apportent aux pieds de N.-D. des Neiges les fleurs et les rubans qui ornaient leurs têtes la veille.
On ne se souvient plus que vaguement de l'histoire de Jean Thiébaud; mais on appelle encore aujourd'hui cette madone : La Notre-Dame des Neiges.