Au château de Salneck, vivait il y a bien longtemps, une jeune princesse belle comme les anges du ciel, qui avait, nom Hildegonde. Le vieux seigneur de Salneck était amoureux fou de sa fille. Rien qu'à penser qu'un jour elle pourrait le quitter pour suivre un noble époux en son manoir, il se sentait frissonner et ses yeux lançaient des éclairs. Cette idée le poursuivant sans cesse, il prit le parti d'enfermer sa fille dans la chambre haute d'une tour presque inaccessible. Du moins il serait tranquille, pensait-il, et il serait certain que sa fille n'aimerait jamais que lui. Mais le père avait compté sans Hugdietrich, le jeune héros à l'armure enchantée qui habitait non loin de là un castel menaçant.
Le jeune chevalier ayant appris le misérable sort de la jeune fille, monta sur son palefroi après s'être convenablement déguisé, et courut au château de Salneck. Bien reçu par le vieux chevalier qui ne put le reconnaître, il fut invité à passer quelque temps au manoir. Hugdietrich en profita si bien, qu'ayant corrompu un des serviteurs du comte, il réussit à s'introduire auprès de la belle Hildegonde.
Lui avouer son amour ardent et lui raconter comment il avait pu pénétrer auprès d'elle, fut pour le chevalier l'affaire d'un instant. La comtesse, de son côté, trouva le jeune seigneur tel qu'elle l'avait rêvé dans ses longues nuits de réclusion, et se prit à l'aimer follement. Hugdietrich eut plusieurs entrevues secrètes avec la jeune fille jusqu'au jour où, la guerre survenant, il dut la quitter.
Par une nuit sombre, tandis que tout dormait au château, une louve qui rodait aux environs, fut attirée par les vagissements d'un tout petit enfant. Elle découvrit le petit être, l'emporta dans la forêt, l'allaita et l'éleva avec ses louveteaux, jusqu'au jour où Hugdietrich, revenu de la guerre et chassant dans la forêt, rencontra l'enfant et le reconnut pour son fils grâce, à un certain collier qu'autrefois Hildegonde lui avait passé au cou. Le seigneur emmena l'enfant en son castel, le nomma Wolfdietrich (Dietrich-le-Loup), et peu après épousa la belle Hildegonde dont il eut plusieurs autres enfants.
Or, ces enfants devenus grands ne purent supporter le pauvre Wolfdietrich qu'ils tournaient en dérision et n'appelaient plus que le Loup. Un jour vint même où le père prit à part un vieux serviteur, lui donna une épée et lui commanda d'aller dans la forêt y égorger le Loup. L'écuyer obéit en pleurant et emmena l'enfant dans un endroit solitaire. Mais là le courage lui manqua, et il s'assit pour se remettre. Heureusement qu'un charbonnier venant à passer le tira de sa perplexité.
Le charbonnier venait de perdre son fils; il consentit à prendre le jeune enfant et à l'élever comme sien.
Wolfdietrich grandissait à vue d'œil ; sa force s'accrut prodigieusement. Travaillant dans une forge, on le vit briser l'enclume d'un seul coup de marteau. Se jugeant assez robuste pour aller par le monde, il quitta la forêt, marquant toutes ses étapes par des exploits merveilleux, terrassant les monstres et les dragons, ou abattant les géants qui osaient se mesurer avec lui.
Un soir d'été, Dietrich était couché prés d'un feu dans une magnifique clairière solitaire, lorsqu'une fée se présenta à ses regards et l'invita à la suivre dans sa demeure au sein d'une montagne enchantée, palais merveilleux où les douze sœurs fatidiques éternellement jeunes rivaliseraient de prévenances à son égard. Dietrich suivit la fée, mais les nymphes eurent beau déployer mille séductions et mille charmes, le héros resta insensible à leur amour. La fée l'en récompensa en lui donnant un vêtement d'invulnérabilité, et Dietrich put aller affronter le dragon de la montagne voisine. Le jeune homme trouva le monstre sous un épais tilleul, et bravement il l'attaqua. Terrible fut la lutte. A la fin, le dragon saisit Dietrich et l'engloutit tout vivant. Mais s'ouvrant un passage à coups d'épée, le guerrier sortit du corps du monstre mort et reparut tout couvert de sang et plus invulnérable que jamais, sauf en un endroit du corps où une feuille de tilleul s'était collée.
La princesse Sidrata, la plus merveilleuse des fées, lui fut donnée pour femme en récompense de cet exploit fameux. Sidrata et Dietrich étaient les plus heureux des époux.
Un soir que la belle princesse demandait à son époux le secret de son invulnérabilité, Dietrich le lui confia et lui indiqua l'endroit où seul il pouvait être blessé. La princesse marqua d'une croix le même endroit sur le vêtement du héros, puis elle recommanda à l'écuyer, Hagen le Borgne, de veiller à ce que son maître ne reçût aucun coup du côté de la marque. Hagen se hâta de reporter la chose aux ennemis de Dietrich; ceux-ci lui promirent une forte récompense s'il tuait le héros. Le traître céda à leurs obsessions, et, un jour que Wolfdietrich se baissait pour boire à une source, Hagen le visa à la marque et le tua sur le coup.
C'était écrit! Dietrich devait descendre au noir séjour des ombres. C'est au haut de l'Ax, au sommet du Kriegshurt, qu'il dort entouré de ses preux et la main toujours sur la garde de son épée, attendant pour se lever que le Turc vienne abreuver ses chevaux sur les bords du Rhin. De cent ans en cent ans, il se réveille, se met sur son séant et regarde du côté du fleuve. Puis, après avoir fait le tour du rocher, il se recouche et s'endort.
Si, passant à une heure du matin sur la montagne de l'Ax,vous entendez un bruit de chevaux et de combattants, attendez une grande guerre : c'est Dietrich qui s'exerce au combat avec ses compagnons.