Avant de monter sur le siège de Soissons, saint Arnoult, un des grands évêques de cette antique Cité, fils du seigneur de Pamele en Brabant, avait quitté le parti des armes et les séductions de la Cour pour se faire pauvre reclus à saint Médard de Soissons où il déposa ses vêtements précieux pour revêtir la bure grossière de saint Benoît. C'était un religieux d'une austérité excessive, qui s'était creusé une fosse sous un égout et qui y restait souvent exposé aux intempéries des saisons, à la pluie et a la neige. Il ne mangeait que du pain d'orge et ne buvait que d'une eau fétide, gardant un silence perpétuel. Il passait avec raison aux yeux de tous pour un saint. Aussi les moines de Saint Médard songèrent-ils à le prendre pour leur abbé.
Mais Arnoult, alarmé de cette dignité, avait pris le parti de s'évader pendant la nuit, malgré les gardiens qu'on avait mis à sa cellule. Dans la vue d'échapper au danger qui le menaçait et qu'il redoutait avant tout, il s'était mis à fuir dans la direction de Laon, cherchant les endroits les plus agrestes et les plus déserts. L'histoire de sa vie nous dit, qu'ayant appris aux pieds de la montagne de Laon, qu'on le cherchait, la crainte d'être découvert l'engagea à se sauver plus loin, et qu'ayant rencontré par les chemins un loup de forte taille, il suivit cette bête sauvage avec l'espoir de gagner ainsi une retraite ignorée dans la profondeur du bois. Mais le loup, après des marches et contre-marches, loin de le conduire au fond d'une sombre forêt, finit par le ramener vers Soissons; en sorte qu'au point du jour, il se trouvait sur le penchant d'une colline en face de la vieille cité soissonnaise et du célèbre couvent auxquels il voulait dire un éternel adieu.
Arnoult tout désolé de cette mésaventure courut se cacher dans une carrière où il s'enfonca et disparut; mais aperçu par des laboureurs et des tailleurs de pierres qui vont donner l'éveil et dénoncer sa retraite, il se voit tout à coup cerné de toute part, pris de force et conduit comme un prisonnier à l'abbaye de saint Médard, où l'Evêque accompagné d'un nombreux clergé et d'une foule de peuple, partis en procession dès le matin venaient procéder à son intronisation abbatiale. Arnoult se soumit à la volonté de Dieu et devint abbé de saint Médard où il rétablit le bon ordre et la prospérité. Les loups ont du bon quand ils coopèrent à des oeuvres semblables. Ils ont presque du mérite.