[...] Presque en face du village de Chartèves si coquettement assis sur un léger monticule, on apercevait, il y a quelques années, au milieu des eaux de la rivière une roche qui fut longtemps l'objet de la vénération publique; elle était appelée la Pierre de S. Caprais.
Or il faut vous dire que S. Caprais, évêque d'Agen, est le patron du village de Chartèves. L'histoire rapporte que ce saint évêque, qui s'était d'abord caché dans une caverne des environs d'Agen pour éviter la rigueur de la persécution qui sévissait dans l'Eglise, apprenant de quelle manière Sainte Foi combattait pour Jésus-Christ, fut animé de telle sorte à souffrir les tourments qu'il pria le Seigneur, s'il le jugeait digne de la gloire du martyre, de faire sortir de l'eau claire d'une des pierres de cette caverne: ce qui étant arrivé, il courut plein de confiance au lieu du combat où il soutint l'attaque avec tant de force qu'il mérita la palme du martyre, sous les empereurs Dacien et Maximien. La tradition ne s'est pas contentée de ce fait merveilleux en lui-même, elle a voulu avec le temps lui donner une touche locale et le poétiser à sa manière en transportant la scène du miracle sur un autre terrain. «Elle rapporte donc que le S. Pontife, fuyant devant les payens, était arrivé sur le sommet de la colline par laquelle est bordée au nord la vallée de la Marne, et là, entouré de toutes parts par de féroces persécuteurs, S. Caprais se voyait en danger d'être pris, puisqu'il n'était pas possible qu'il parvînt à s'échapper. Alors, moins par crainte du sort que lui préparaient les adorateurs des idoles, que dans la vue de manifester la puissance du Seigneur, S. Caprais avait piqué les flancs de son coursier; puis, du haut de la colline, le cheval avait franchi d'un seul bond la plaine qui le séparait de la rivière et était venu avec son cavalier tomber au milieu des eaux sur le rocher qui surgit pour le recevoir.
En témoignage de ce trajet miraculeux, la pierre conserva l'empreinte des fers du cheval. On pouvait encore les voir il y a peu d'années. Alors malheur au marinier qui n'était pas en paix avec sa conscience et les saints. Le rocher était pour son frêle esquif un dangereux écueil. Aussi maintes fois arrivait-il que les bateaux venaient ou s'y briser ou chavirer avec leurs cargaisons, ce qui engagea l'administration, moins soucieuse des vieilles traditions que de l'intérêt matériel des navigateurs, à faire disparaître cette pierre jusqu'aux moindres fragments; et le batelier peut, de nos jours, naviguer sans crainte en cet endroit, que signala jadis plus d'un naufrage.